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Mi-septembre, la Cour pénale spéciale de Centrafrique a annoncé avoir mis en œuvre des mesures de réparation pour les victimes de deux massacres en 2019, objet de son premier procès. Qu’en disent les bénéficiaires et qu’ont-ils fait de ce qu’ils ont reçu ?

« Pour la première fois dans l’histoire de la Centrafrique, une mesure de réparation judiciaire a été mise en œuvre au bénéfice direct des victimes parties civiles », écrit la cellule d’information du Tribunal pénal spécial (CPS) dans un communiqué. . communiqué de presse publié le 16 septembre à Bangui. Le 31 août, l’équipe du Service d’aide et de défense aux victimes (SAVD), l’unité chargée d’effectuer les réparations commandées par le CSP, s’est rendue à Paoua, à l’extrême nord-ouest du pays, pour livrer aux aux victimes et aux ayants droit la somme symbolique qui leur est due. Charles Mugaruka Mupenda, chef du SAVD, précise qu’au total « 41 personnes ont bénéficié de réparations. Ces personnes représentent 32 familles de 9 parties civiles dont 13 familles de Koundjili et 19 familles de Lémouna. Au titre de l’indemnisation individuelle, 5 femmes victimes de violences sexuelles, 3 victimes de tentative de meurtre et une victime d’enlèvement ont bénéficié d’une compensation financière.

Koundjili et Lémouna sont deux villages situés à 45 et 50 km de Paoua. Ces localités ont fait l’objet d’attaques coordonnées par des hommes armés du mouvement 3R le 21 mai 2019. Ces attaques ont entraîné la mort de 36 personnes dans ces deux villages. L’alors leader des 3R, Abass Sidiki, a fini par traduire en justice trois de ses lieutenants : Issa Sallet Adoum alias Bozizé, Ousman Yaouba et Mahamat Tahir. Ils ont été définitivement condamnés, après un procès en appel devant le CPS, à des peines de prison allant de 20 à 30 ans.

La mise en œuvre des mesures de réparation est financée par les États-Unis à travers la Minusca, la mission des Nations Unies en République centrafricaine. Cela représente un montant de 30 000 dollars américains. « Parce que les condamnés étaient indigents, c’était au tribunal de rechercher des financements auprès de ses partenaires », explique Mugaruka. Selon le CPS, l’ensemble des réparations financières accordées, individuelles et collectives, prononcées au 31 août 2024, s’élèvent à 18 855 000 francs CFA (environ 31 000 dollars). En plus d’une compensation financière, les victimes de violences sexuelles bénéficient du soutien du Projet Nengo qui leur propose un accompagnement psychosocial.

Une réparation symbolique mais insuffisante

La mission est arrivée à Paoua et a discrètement récupéré les victimes pour la remise des compensations financières en présence des autorités locales et des responsables de la Minusca. Toutes les victimes contactées par Justice Info confirment avoir reçu ce qui leur est dû. Selon l’arrêt de la Chambre d’appel de la CPS, 32 bénéficiaires, représentant les 32 personnes tuées dans les massacres de Koundjili et de Lémouna, ont reçu chacun la somme de 350 000 francs CFA (environ 580 dollars). Deux victimes de viol, alors mineures, ont reçu chacune un million de francs CFA (environ 1 660 dollars). Les trois autres ont reçu individuellement 700 000 francs (1 160 dollars). Trois victimes de tentative d’assassinat, originaires de Koundjili, ont reçu 600 000 francs chacune (1 000 dollars), tandis qu’un jeune homme de Lémouna, ligoté lors de l’attaque de son village, a reçu 200 000 CFA.

« En tout cas, les sinistrés étaient contents de nous voir arriver à Paoua. Ils ont exprimé leur joie face à ce qu’ils ont reçu comme réparations symboliques », a déclaré Mugaruka.

A Paoua, Simplice Bissi, l’un des bénéficiaires, confirme avoir reçu une somme de 350 000 francs CFA, versée en réparation des dommages causés après le décès à Koundjili de son frère Florentin Bissi, ancien adjoint de Paoua. «Enfin, la promesse du CPS s’est réalisée. Je remercie la Cour pour ce geste mais mon défunt frère aîné m’a laissé 12 orphelins. Leur éducation dépasse à elle seule les 350 000 francs», explique-t-il. Bissi suggère que l’argent proposé pour la construction d’un mémorial pour les victimes du massacre du 21 mai soit redirigé vers les victimes et les ayants droit, car cette idée de mémorial a été rejetée par les victimes.

Livret de récépissé du Service d'Aide aux Victimes de la Cour Pénale Spéciale lors de la remise des réparations financières aux victimes en Centrafrique, à Paoua, en août 2024
Le livret de quittance du Service d’Aide aux Victimes de la Cour Pénale Spéciale lors de la remise des réparations financières aux victimes en Centrafrique, à Paoua, en août 2024. Photo : © Cour Pénale Spéciale

Conseil de famille pour la famille Bissi

Un mois après la mission du SAVD, certaines victimes ont confié à Justice Info comment elles utilisent ou ont utilisé l’argent qui leur a été remis. «J’ai reçu 350 000 francs en présence de tous les autres membres de la famille. Nous avons eu une cérémonie. J’ai appelé la mère de mon défunt frère Florentin. Nous avons réservé 20 000 francs pour la célébration symbolique et partagé 30 000 francs avec une cinquantaine de proches. Pour que chacun se souvienne toujours du défunt et prenne soin de ses enfants. Vous savez, c’est la famille africaine. Le reste, 300 000, nous l’avons donné aux trois premiers garçons de Florentin », explique Simplice Bissi, représentant de l’Observatoire centrafricain des droits de l’homme de Paoua, qui a déposé la plainte au CPS pour le massacre de Koundjili et Lémouna. Il précise qu’aucune réflexion n’a été menée davantage sur l’éducation des enfants : « Cette somme ne peut pas suffire à leur éducation. Alors qu’ils continuent à étudier, cela sera toujours ma responsabilité. Nous ne voulons pas dépenser de l’argent pour quelque chose qui ne restera pas un souvenir. Nous n’avons payé que quelques fournitures scolaires pour cette nouvelle année. Mais nous avons conseillé aux trois premiers gars d’acheter des parcelles à la place. Ce qui a été fait. »

Koundjili ne semble plus attirer les enfants de feu Florentin. Emery Bissi, le deuxième garçon de Florentin, 16 ans et en classe 4èmea acheté un terrain en deux lots à Paoua. Après le drame de 2019 il ne veut plus rester à Koundjili. Il réside chez son oncle paternel à Paoua. « Si Dieu me garde en vie, quand je serai grand, je construirai une maison sur cette terre », a-t-il déclaré. Apollinaire, le fils aîné, fait régulièrement du commerce entre Bocaranga et Paoua. Grâce à cette rénovation, il a acheté son terrain à Bocaranga. Et le troisième garçon a préféré s’installer à Ndim, non loin de Koundjili.

Enfants, veaux, taureaux

D’autres victimes investissent leur compensation dans l’éducation, l’agriculture ou l’élevage. « J’ai payé la scolarité de mes deux enfants cette année. J’ai également acheté trois enfants et deux veaux à élever. Et pour relancer mon activité agricole, j’ai payé cinq sacs de cacahuètes pour les graines », explique Reine, victime de viol alors qu’elle était mineure et qui a été indemnisée d’un million de francs CFA. Mais il lui faudra trouver d’autres moyens pour financer le déblayage de son camp.

Patient, une autre victime de viol, a payé des balles de coton et espère que le gouvernement lancera rapidement une nouvelle campagne de coton pour vendre ses produits. Grâce aux 700 000 CFA reçus, il a financé la scolarité et l’assurance scolaire de ses dix enfants et des huit orphelins laissés sur place par sa sœur.

Un autre investissement dans l’agriculture a été réalisé dans la grande famille Houtia, où se trouvent trois victimes décédées lors du massacre de Koundjili. Le domaine Mitterrand Houtia, qui a bénéficié de 350 000 CFA, a acheté une paire de taureaux et une charrue pour attelage de culture. Il envisage de rejoindre la coopérative de producteurs de haricots blancs de la sous-préfecture de Paoua, qui a produit cette année 230 000 tonnes de haricots.

Des besoins énormes à venir

De manière générale, la plupart des victimes ont profité de cette compensation financière pour relancer leurs commerces, leurs champs, leur bétail ou pour satisfaire des besoins vitaux. Ils offrent des témoignages de satisfaction, une expression de joie qui leur permet d’oublier un instant leur passé blessé. Satisfaction discrète également de la part de MEt Olivier Manguereka, l’un des avocats des victimes, bien qu’il ne soit pas impliqué dans le déplacement de Paoua. : « Je suis partiellement satisfait », a-t-il déclaré. Les sommes sont certes « infimes et symboliques, mais ce qu’il est très important de noter, c’est que toutes les victimes ont reçu quelque chose », se réjouit l’avocat.

Le combat n’est pas encore terminé pour le CSP, qui doit se préparer à faire face à des défis de réparation supplémentaires. Si les 30 000 dollars accordés par les États-Unis ont été épuisés par les victimes de Paoua, « la question des réparations ne doit pas être laissée à la seule Cour pénale spéciale. C’est une question qui concerne tout le monde : l’État, les ONG, les partenaires, la société civile », selon Mugaruka. « Dans le procès Paoua, nous avons constaté qu’il y avait peu de victimes. Mais il n’est pas sûr que cela se produise également pour les expériences futures. J’imagine que si on a mille victimes, on aura des besoins multipliés par 20 ou 30 peut-être. Alors d’où proviendront ces fonds ? Je crois qu’ils proviendront d’un effort collectif. Concernant les tribunaux, nous poursuivons le dialogue avec nos partenaires et le gouvernement pour un plus grand soutien aux réparations. Au-delà de cela, nous restons créatifs en voyant d’autres pistes à explorer et en essayant de voir comment prendre en compte les besoins qui seront énormes à l’avenir », conclut le chef du Service d’assistance aux victimes et aux réfugiés pour défendre le CSP.

L’article Bonjour les veaux, les vaches, les cochons ! est apparu pour la première fois sur JusticeInfo.net.

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