Du Mexique à Haïti en passant par l’Équateur, le Nigeria ou l’Afrique du Sud, les gangs sévissent dans plusieurs pays, où leur ampleur et leur violence représentent la principale menace pour les populations comme pour l’État. Dans certains pays, des zones entières échappent au contrôle gouvernemental, laissant les populations démunies, parfois contraintes de faire appel à des groupes d’autodéfense. Dans d’autres, comme le Salvador ou le Honduras, les gouvernements ont été contraints de déclarer la guerre aux gangs et instaurer l’état d’urgence ou d’exception pour tenter de juguler la violence, avec des risques majeurs d’atteinte aux libertés publiques.
Ainsi, dans une partie du monde, ce ne sont pas la guerre ou la dictature qui sont la principale source de violence de masse, mais ces groupes criminels sans objectif politique. Extorsion, enlèvements, meurtres, trafic de drogue et trafic humain, exploitation illégale des ressources naturelles : le modus operandi des groupes criminels violents – gangs, mafias, narcos, bandits – couvre un large spectre. Pourtant, les organisations et acteurs traditionnels de la justice transitionnelle sont totalement absents de ce champ.
Justice Info dresse ici une carte des États du monde les plus impactés par ces organisations criminelles, avec un focus sur les situations où ces groupes contrôlent d’importants territoires, occupent un vide de gouvernance, ont pris l’avantage sur l’État, ou causent un grand nombre de morts.
Puis, dans un grand entretien, Mark Freeman, directeur de l’Institut pour les transitions intégrées (IFIT), explique pourquoi la justice transitionnelle ne s’est pas emparée de ces situations et pourquoi elle doit s’y intéresser, sous peine de perdre sa pertinence.
Afrique du Sud : une « crise nationale »
Score de criminalité : 7e sur 193 pays
Taux d’homicide : 45,1 pour 100 000 habitants [*note en bas de l’article]
Nombre d’homicides en 2023-2024 : 27 419
Les Restorama Kids, les Dirty Bastards, les Clever Kids, les Sexy boys, les Mafias, ou les Dixie Boys : des centaines de gangs prolifèrent dans les townships des grandes villes d’Afrique du Sud. Rien qu’au Cap, la police sud-africaine estime qu’il existe 90 à 130 gangs, avec 100 000 membres au total. Ces gangsters, appelés Totsis, vivent de diverses activités criminelles, du narcotrafic (cocaïne, héroïne, drogues de synthèse) au rapt, en passant par le trafic d’armes et d’êtres humains.
L’extorsion est devenue le nouveau business florissant du pays, qualifiée par la police de « crise nationale », tandis que l’exploitation minière clandestine suscite de violents affrontements entre des gangs rivaux de mineurs illégaux, surnommés zama zamas.
Selon les dernières données de la police sud-africaine (SAPS), d’avril 2023 à mars 2024, le pays recense plus de 27 000 homicides. Le taux d’homicide est à 45,1 pour 100 000 habitants, selon SAPS, sans compter les attaques à mains armées, les carjacking, les enlèvements et les viols (avec un taux très élevé de 70 pour 100 000 habitants).
En sous-effectifs et sous-équipée, la police sud-africaine a eu du mal à faire face à l’urbanisation rapide et la montée de gangs de rue. Son inefficacité est aussi due à la corruption endémique dans ses rangs, dénoncée en 2020 par le procureur Andrew Whitfield qui a qualifié la SAPS de police « pourrie jusqu’à la moelle ». Ces dernières années, l’armée est donc de plus en plus sollicitée et déployée dans certains townships, notamment au Cap, pour épauler la police, des tâches pour lesquelles elle est mal équipée.
En 2019 et 2021, l’armée est ainsi intervenue sur l’ordre du président Cyril Ramaphosa, après une vague de fusillades et de meurtres liés notamment au trafic de drogues. Sans succès. Fin août, après une énième fusillade lors d’une affaire d’extorsion, le chef de l’État a promis de s’attaquer à la criminalité : « Nous menons désormais la guerre contre ceux qui extorquent de l’argent. Nous menons la guerre contre la mafia de la construction. Nous menons la guerre contre les gangsters. Nous allons maintenant vous affronter et nous assurer que vous serez traduits en justice », a-t-il affirmé.
Brésil : « Une question de sécurité nationale »
Score de criminalité : 22e sur 193 pays
Taux d’homicide : 18,1 pour 100 000 habitants
Nombre d’homicides en 2023 : 39 033
Hélicoptères, drones, véhicules blindés, fusils d’assaut et gilets pare-balles : depuis des années, les raids policiers contre les gangs criminels se suivent et se ressemblent dans les favelas du Brésil, de la célèbre Cité de Dieu à Rio jusqu’aux bidonvilles de Fortaleza ou de Salvador de Bahia. Selon le ministère brésilien de la Justice et de la sécurité publique, le taux d’homicides au Brésil est de 18,1 en 2023, avec plus de 39 000 morts.
Le pays compte trois organisations criminelles majeures : Comando Vermelho (CV), la plus ancienne, Primeiro Comando da Capital (PCC), la plus large, et les plus récentes milices d’autodéfense, formées par d’anciens policiers à la retraite et qui, au fil des années, se sont transformées en groupes criminels à leur tour : en plus de la « taxe de protection » réclamée aux commerçants, elles pratiquent l’extorsion et imposent aux habitants d’acheter leurs produits ou services d’électricité, gaz, télévision ou internet.
Selon le Secrétariat national des politiques pénales, il y a plus de 100 gangs criminels au Brésil en 2023, dont 72 groupes importants, également présents dans les prisons.
La principale activité criminelle est le narcotrafic, plus précisément le transport et la vente de cocaïne pour la consommation domestique – seul le PCC en exporte – mais aussi l’extorsion et l’orpaillage illégal, notamment en Amazonie.
« Les groupes criminels organisés comme le PCC – qui a le monopole du trafic de cocaïne à Sao Paulo – n’ont pas besoin de faire des démonstrations physiques de leur potentiel de violence et opèrent davantage dans l’ombre », explique le chercheur Antonio Sampaio de l’organisation Global Initiative against Transnational Organized Crime (GI-TOC), mais d’autres luttent pour le contrôle des routes de trafic et des territoires, notamment dans les favelas.
Du fait de l’immensité du territoire et de la nature fédérale du gouvernement, la réponse au phénomène des gangs est fragmentée, gérée par les maires et les gouverneurs des États, ce qui la rend inefficace. Début 2023, le président Luiz Inácio Lula da Silva a annoncé un déploiement de 3 700 militaires dans les principaux ports et aéroports du pays face à la flambée de violence du crime organisé, estimant qu’il s’agit d’« une question de sécurité nationale ». Il a toutefois refusé d’envoyer l’armée dans les favelas, affirmant qu’il ne voulait pas de « pyrotechnie », une allusion aux raids musclés des gouvernements précédents.
Colombie : une offre de négociation
Score de criminalité : 2e sur 193 pays
Taux d’homicide : 25,7 pour 100 000 habitants
Nombre d’homicides en 2023 : 13 432
Premier producteur de cocaïne au monde, la Colombie fournit, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), 70 % du marché mondial. Entre cultures de coca et production de la poudre, le narcotrafic est un élément clé, traditionnel, des activités criminelles dans le pays. Mais selon Felipe Botero, chercheur à GI-TOC, ces dernières années, les gangs colombiens favorisent « un écosystème criminel », en diversifiant leurs activités : exploitation minière illégale, trafic d’armes, d’êtres humains et de migrants avec le Venezuela, extorsion, racket de protection, contrebande, et occasionnellement des activités légales.
Après un demi-siècle de guerre civile, le modèle de la criminalité colombienne est hybride. D’une part, il existe de puissants groupes rebelles aux activités criminelles comme la guérilla de l’Armée de libération nationale (ELN), et de grands groupes criminels de narcotrafiquants qui opèrent tels des cartels, à l’instar de Clan del Golfo qui compterait quelques 4 000 membres. D’autre part, il existe une myriade de gangs locaux basés dans une ville ou une région spécifique du pays, qui fournissent des services aux premiers et fonctionnent aussi en autonomie. Impossible d’en évaluer le nombre : « Rien qu’à Cali, l’UNODC recense 400 gangs criminels », précise Botero.
Ces gangs sont présents en milieu urbain, à Cali, Medellin ou Buenaventura, et en zone rurale, sur tout le territoire du pays. « Vous avez des quartiers à Cali où la police ne peut pas entrer, ou de vastes parties de l’Amazonie où les rangers ne peuvent pas entrer », note Botero.
Dans le cadre de sa campagne « paz total », le président colombien Gustavo Petro promeut le dialogue avec tous les acteurs violents du pays, en proposant des négociations politiques aux groupes rebelles comme l’ELN et une « reddition à la justice » aux cartels, gangs ruraux ou urbains qui acceptent d’arrêter leurs activités criminelles et démanteler leur organisation, en échange de peines de justice réduites. Une politique jugée inefficace et dangereuse par l’opposition de droite colombienne.
Équateur : un état de « conflit armé interne »
Score de criminalité : 11e sur 193 pays
Taux d’homicide : 44,5 pour 100 000 habitants
Nombre d’homicides en 2023 : 8 004
Autrefois épargnée par la violence, l’Équateur, pays frontalier avec la Colombie et le Pérou, les deux plus gros producteurs de cocaïne au monde, a connu une explosion de sa criminalité liée au narcotrafic et en hausse constante depuis la fin de la présidence de Rafael Correa, en 2017. Aujourd’hui, le pays détient le taux d’homicide le plus élevé des Amériques centrale et latine (hors zone Caraïbes). En 2020, la principale organisation criminelle du pays, Los Choneros, s’est fragmentée en une multitude de gangs plus petits, qui travaillent avec les puissants Clan del Golfo en Colombie et Cartel de Sinaloa au Mexique, ainsi qu’avec les mafias italiennes ou des Balkans.
On y recense une vingtaine de gangs et quelques 50 000 membres, qui ont la main sur diverses régions et prisons du pays d’où ils opèrent en toute impunité, comme Los Lobos ou Los Lagartos. En dehors du narcotrafic, leurs principales activités sont l’extorsion, l’enlèvement, le trafic d’armes ou l’exploitation minière illégale, notamment dans le nord de l’Amazonie.
Selon le site d’investigation Insight Crime, le taux d’homicide y est passé de 5,8 pour 100 000 en 2017, à 44,5 en 2023. Une hausse spectaculaire, à un rythme jamais vu (+700 %), nourrie par des luttes de pouvoir entre divers gangs. Ainsi, en janvier 2024, l’évasion de prison de « Fito », le chef du gang Los Choneros, a mis le feu aux poudres, avec des émeutes sanglantes dans des centres pénitenciers, des gardiens de prison pris en otages, des fusillades et même une chaîne de télévision attaquée…
Confronté à cette violence sans précédent, l’Équateur a choisi une réponse drastique : le président Daniel Noboa a déclaré le pays en état de « conflit armé interne », ordonné la « neutralisation » des groupes criminels qualifiés de « terroristes » et de « belligérants ». L’état d’urgence, qui permet le déploiement de l’armée sur la voie publique, a été déclaré sur tout le territoire pendant 90 jours en janvier, puis de nouveau pour 60 jours fin mai, cette fois dans 7 des 24 provinces du pays, où il y a, selon le décret du gouvernement, « une augmentation de la violence systématique perpétrée par des groupes violents organisés, des organisations terroristes et des acteurs non étatiques ». Une politique critiquée par l’ONG Human Rights Watch, qui déplore des violations de droits humains.
Haïti : état d’urgence sécuritaire
Score de criminalité : 50e sur 193 pays
Taux d’homicide : 40,9 pour 100 000 habitants
Nombre d’homicides en 2023 : 4 789
Depuis 2023, la violence des gangs a explosé à Haïti, avec un taux d’homicides qui a plus que doublé en un an, passant de 18,1 pour 100 000 habitants en 2022, à 40,9 en 2023, selon les données du Bureau intégré des Nations unies en Haïti. Le pays compte ainsi près de 5 000 homicides en 2023, au lieu de 2 000 en 2022. Le nombre de personnes enlevées a aussi quasi doublé, pour atteindre 2 490 en 2023.
Toujours selon l’Onu, le nombre global des victimes des gangs, tuées, blessées ou enlevées, s’élève à environ 8 000 personnes. « Les meurtres, les violences sexuelles et les enlèvements commis par les bandes organisées (…) se poursuivent en toute impunité », a dénoncé Antonio Guterres dans son rapport 2024 au Conseil de sécurité, évoquant « le niveau stupéfiant de la violence des bandes, qui continue de s’aggraver ».
Selon l’UNODC, le territoire est sous le contrôle de 150 à 200 gangs, dotés d’armes de plus en plus sophistiquées (AK-47 russes, AR-15 américains, fusils d’assaut Galil israéliens) lié au trafic. Rien que dans la capitale, Port-au-Prince, sévit une vingtaine de gangs, divisés en deux grandes coalitions, le G-Pèp et le G9 Famille et Alliés. La capitale quasi tout entière, des sites stratégiques majeurs, et les principaux axes routiers, sont entre leurs mains. Terrorisés, des dizaines de milliers d’habitants ont fui et s’entassent dans des camps de fortune où règnent l’insalubrité et la famine. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, près de 600 000 personnes, dont la moitié d’enfants, sont déplacées à l’intérieur du pays, soit 1 Haïtien sur 20.
Le 17 juillet, le Premier ministre Garry Conille a annoncé instauration de l’état d’urgence sécuritaire dans 14 communes où se concentrent les violences, à Port-au-Prince et dans les départements de l’Artibonite et de l’Ouest. Le 19 août, il l’a étendu à d’autres départements et prolongé d’un mois. Ces mesures, tout comme le déploiement de policiers kenyans dans le cadre de la Mission multinationale d’appui à la sécurité, n’ont pour l’heure pas pu enrayer la violence. Faute de résultats, la population s’organise avec des barricades et des groupes d’autodéfense.
Honduras : un état d’exception partiel
Score de criminalité : 13e sur 193 pays
Taux d’homicide : 31,1 pour 100 000 habitants
Nombre d’homicides en 2023 : 3 035
Le Honduras détient le titre peu envié du pays le plus violent d’Amérique centrale, avec un taux d’homicide de plus de 31 pour 100 000 habitants en 2023, selon le site d’investigation Insight Crime, et plus de 3 000 morts en 2023. Ces chiffres diminuent régulièrement depuis une décennie : à titre de comparaison, le taux d’homicide s’élevait à 79 pour 100 000 en 2013. La criminalité reste toutefois particulièrement élevée et se diffuse en dehors des deux grandes villes du pays, bastions traditionnels des gangs.
Point de passage clé du trafic de drogue transnational, le pays a vu se développer des groupes de narcotrafiquants comme le Barrio 18 (M-18) et la Mara Salvatrucha (MS-13) et des bandes de rue, appelées pandillas. Le pays en compterait des centaines avec quelque 40 000 membres, selon les estimations de l’ONG Human Rights Watch. En réalité, le nombre des membres de gangs, petites et grandes, serait plus proche de 15 000, selon Lester Ramirez, chercheur à Gl-TOC. Ces organisations exercent leur autorité sur des quartiers entiers et imposent leur propre loi, avec un modus operandi classique : narcotrafic, extorsion et enlèvements.
Ces gangs prospèrent aussi grâce à la protection de l’une des polices les plus corrompues du continent et de l’élite économico-politique du pays, comme l’indiquent les témoignages des trafiquants arrêtés et traduits en justice. Certains groupes ont même infiltré les institutions de l’État : les cas de collusion entre le crime organisé et des politiciens de haut rang, notamment du Parti national au pouvoir, sont fréquents, jusqu’à l’ex-président, Juan Orlando Hernández, extradé et jugé aux États-Unis, et condamné à 45 ans de prison pour trafic de drogue.
En décembre 2022, sa successeure, la présidente Xiomara Castro, a décrété un « état d’exception » sur plus de la moitié du territoire, notamment la capitale Tegucigalpa, et la deuxième plus grande ville, San Pedro Sula, et fait appel à l’armée, en prenant exemple sur le Salvador et le « modèle Bukele ». Sans succès pour le moment, selon l’ACLED (Armed Conflict Location and Event Data), une ONG qui collecte des données sur les conflits violents et les manifestations dans tous les pays et territoires du monde.
De fait, la cheffe de l’État se trouve à son tour dans la tourmente. Fin août, elle a annulé le traité d’extradition avec les États-Unis qui a permis l’incarcération d’une cinquantaine de trafiquants de drogue. Une décision motivée, selon l’opposition, par sa volonté de protéger les membres de son gouvernement et de sa famille. Selon une vidéo filmée par des narcotrafiquants, son beau-frère aurait accepté d’importantes sommes d’argent en 2013 pour aider la campagne électorale de Castro…
Mexique : 30 000 morts par an
Score de criminalité : 3e sur 193 pays
Taux d’homicide : 23,3 pour 100 000 habitants
Nombre d’homicides en 2023 : 29 675
Plaque tournante des drogues d’Amérique latine vers les États-Unis et l’Europe, le Mexique est confronté à des niveaux de violence très élevés, notamment dans le Nord du pays, avec une activité principale : le trafic d’héroïne, de cocaïne et de drogues synthétiques.
De ce fait, le taux d’homicide du pays a battu des records à 29 pour 100 000 habitants entre 2018 et 2020, avant de baisser à 23,3 en 2023. Mais le nombre de morts violentes, estimé à près de 30 000 par an, demeure extrêmement élevé, tout comme le chiffre des disparitions, estimé à plus de 115 000, pour la plupart survenues depuis 2006, date du début de la guerre déclarée contre les cartels de drogue.
Dix-huit ans plus tard, à l’exception du Cartel de Sinaloa, qui demeure la plus puissante organisation criminelle du continent, et le Cartel de Jalisco Nueva Generación (CJNG), les autres organisations (Cartel del Golfo, Cartel de Los Beltrán Leyva, Cartel de Juárez, Cartel de Tijuana, Los Zetas, etc.) sont en déclin, leurs dirigeants tués ou arrêtés ces dernières années. Avec pour conséquence, une fragmentation des cartels et une multitude de gangs criminels comme Los Metros et Los Escorpiones. Selon le site d’investigation Insight crime, il existe des dizaines de cellules indépendantes réparties dans tout le pays, en lutte les unes contre les autres, et menant des activités criminelles telles que l’extorsion, le trafic d’armes, d’êtres humains ou de migrants, le blanchiment, la contrebande, le vol ou les attaques à main armée…
Pour lutter contre les cartels, le Mexique a tenté la « guerre contre le narcotrafic », lancée par le président Felipe Calderon (2006-2012). Puis son successeur, Enrique Peña Nieto (2013-2018), a promis une approche préventive contre les gangs, sans réalisation concrète. La campagne Abrazos, No Balazos (« des accolades, pas des fusillades ») de l’actuel président, Andrés Manuel López Obrador, n’est pas non plus suivie de beaucoup d’effets : la corruption endémique et les défaillances de l’État empêchent des résultats concrets, d’autant plus que les nouveaux gangs sont plus jeunes, plus violents et sans vision stratégique.
Nigeria : le Nord-Ouest sous la terreur des « bandits »
Score de criminalité : 6e sur 193 pays
Taux d’homicide : 21,7 pour 100 000 habitants (2019)
Nombre d’homicides en 2023 : 44 200
Ces dernières années, le banditisme armé prolifère dans le Nord-Ouest du Nigeria, notamment dans les États de Katsina, Kaduna, Sokoto et Zamfara, une zone désertée par les forces de sécurité, où les autorités n’exercent presque plus de contrôle, incapables de restaurer l’ordre et l’état de droit. Selon l’ACLED, le nombre de civils tués par la violence de ces bandes armées dans le Nord-Ouest entre 2018 et 2023 dépasse celui des victimes d’Ansaru et Jama’atu Ahlul Sunnah lid-Da’wah wa’l-Jihad (JAS) et de l’organisation État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) dans la région Nord-Est du Nigeria au cours de la même période. L’ACLED a comptabilisé plus de 13,000 morts liées aux activités des bandits entre 2010 et 2023.
Ces bandes armées, appelées « bandits » par les Nigérians, compteraient « 10 000 à 30 000 membres », estime Kingsley Madueke, chercheur à GI-TOC, tout en soulignant que ces chiffres fluctuent. « Il n’y a pas d’adhésion fixe : on peut participer à une opération et s’en aller après, ou être juste informateur d’un groupe en ville. » Un fonctionnement confirmé par les recherches d’ACLED qui évoque « une structure hiérarchique (qui) n’exclut pas une certaine souplesse d’appartenance, de mouvement et d’action ».
Ces bandits sévissent « essentiellement dans des zones rurales et forestières où la présence de l’État est limitée », ajoute Madueke. « Mais ils ont étendu leurs activités depuis leurs zones d’opération originelles du Nord-Ouest vers le Centre-Nord du pays, jusqu’à lancer des attaques sur Abuja », la capitale administrative du pays.
Pillages, vols de bétail, enlèvements de locaux et de travailleurs étrangers, attaques de véhicules et de villages, orpaillage, extorsion et collecte de taxes sont parmi leurs modes opératoires privilégiés. « Ils sont très mobiles, se déplacent d’un lieu à un autre, et lancent leurs attaques depuis des zones rurales vers les villes et les villages, puis se retirent sur leurs bases », souligne Madueke.
Ces gangs, dont les chefs se transforment peu à peu en seigneurs de guerre, travaillent ensemble et coopèrent aussi parfois avec les groupes djihadistes comme JAS. En novembre 2021, le gouvernement a qualifié ces bandits de « terroristes », et lancé des opérations militaires pour les combattre, allant jusqu’à des frappes aériennes sur leurs bases supposées. Sans succès. Le banditisme ne recule pas.
Salvador : une répression à tout prix
Score de criminalité : 52e sur 193 pays
Taux d’homicide : 2,4 pour 100 000 habitants
Nombre d’homicides en 2023 : 154
La naissance et la propagation des gangs au Salvador est la conséquence indirecte de la guerre civile (1980-1992). Des milliers de Salvadoriens, émigrés aux États-Unis, s’installent dans les quartiers pauvres de Los Angeles, où sont nés les deux principaux gangs d’Amérique centrale, Mara Salvatrucha et Mara 18. Expulsés par les États-Unis au début des années 1990, de retour au Salvador, ils se lancent dans des activités criminelles : trafic d’êtres humains, extorsion, racket, agressions, vols à main armée, trafic d’armes et de cocaïne.
En l’espace d’une décennie, les gangs deviennent extrêmement puissants et dangereux. A tel point qu’en 2015, le Salvador devient le pays en paix le plus dangereux du monde avec un taux de 103 homicides pour 100 000 habitants. Les autorités du pays classent alors les gangs, leurs « chefs, membres, collaborateurs, apologistes et financiers » comme des « terroristes » et déclarent illégal tout type de négociation avec eux.
En mars 2022, après une vague d’homicides sans précédent (87 personnes tuées en deux jours), le jeune président Nayib Bukele instaure « l’état d’exception », avec un déploiement massif de militaires sur le territoire. L’initiative porte ses fruits, avec « la capture de plus de 81 900 terroristes », selon le gouvernement, soit plus de 1 % de la population, et des dizaines de milliers de condamnations dans des procès de masse, jusqu’à 900 personnes jugées ensemble. Selon le site d’investigation Insight Crime, le taux d’homicide qui avait déjà chuté de 103 pour 100 000 habitants en 2015 à 36 en 2019, quand Bukele arrive au pouvoir, dégringole pour arriver à 2,4 en 2023.
Selon Bukele, les gangs seraient responsables de 120 000 homicides depuis la fin de la guerre civile en 1992, un chiffre supérieur aux 75 000 morts durant les douze années de conflit. « Nous ne nous arrêterons pas tant que nous n’aurons pas éradiqué le peu qu’il reste des gangs », a déclaré en mars dernier Nayib Bukele, très populaire pour sa gestion de l’insécurité et réélu haut la main en février 2024. Sous sa présidence, le Salvador est devenu, dit-il, « le pays le plus sûr d’Amérique latine ». Mais à quel prix ? demandent les organisations de droits de l’homme. Le pays possède le plus haut taux d’incarcération au monde en 2023 : 1 086 pour 100 000 habitants, selon World Prison Brief. Pour Amnesty International, le « modèle Bukele » se fait au mépris des droits et libertés des citoyens.
* A titre de comparaison, le taux d’homicide est de 0,5 pour 100.000 en Suisse, 1,4 en France, 1,5 au Vietnam, 6,8 aux États-Unis. Le taux moyen en Europe est 3, celui en Afrique, 12, 5, tandis que celui en Amérique du Sud est de 23.
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