La guerre civile au Rwanda a été déclenchée par le Front patriotique rwandais (FPR) il y a quatorze mois lorsque, le 4 décembre 1991, le président Juvénal Habyarimana a créé une commission pour le conseiller sur ce qu’il fallait faire « pour vaincre » militairement l’ennemi. , médiatique et politique ». Un groupe de hauts fonctionnaires est réuni pour faire le point sur la situation et formuler des recommandations. Parmi ses dix membres, le plus haut gradé est le colonel Théoneste Bagosora. C’est lui qui préside la commission. Le 21 décembre, ils ont présenté leur rapport au chef de l’Etat.
Ce rapport ne sera jamais divulgué, hormis son extrait plus sulfureux sur la définition de l’ennemi. Cet extrait deviendra parfois une preuve centrale pour démontrer la planification du génocide des Tutsi qui aura lieu un peu plus de deux ans plus tard, d’avril à juillet 1994, au lendemain de l’assassinat d’Habyarimana. Génocide auquel a participé une grande partie des Forces armées rwandaises, les FAR, et dont Bagosora, chef d’état-major du ministère de la Défense, est devenu le suspect numéro 1 en avril 1994.
A l’ouverture du procès contre Bagosora et trois autres anciens officiers des FAR, en avril 2002 devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), créé par les Nations Unies le 8 novembre 1994, le procureur chilien Eboe-Osuji a défini le rapport du Commission de 1991 comme acte de naissance du projet génocidaire. Avant lui, les juges du premier procès du TPIR, contre un ancien maire, Jean-Paul Akayesu, avaient fait référence à l’extrait pour démontrer l’intention génocidaire.
Le jugement nuancé des juges Bagosora
Sauf que le procureur de la République, tout comme les juges, ne dispose pas du rapport complet. Officiellement, il n’existe plus. Il n’en existe que le fameux extrait, intitulé « Définition et identification de l’ennemi ». Il s’agit de la deuxième partie d’un rapport en six parties. C’est aussi la partie la plus effrayante.
Le 18 décembre 2008, la Chambre de première instance du TPIR a rendu son jugement dans l’affaire Bagosora, qui a abouti à une condamnation à perpétuité pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Sa peine sera réduite à 35 ans de prison par la Chambre d’appel. Bagosora est décédé en 2021 dans une prison des Nations Unies au Mali. Cependant, la décision de 2008 se démarque clairement comme la décision la plus nuancée et la plus complexe du TPIR dans son analyse de la planification du génocide. Les juges répondent ainsi au procureur de la République sur l’analyse qu’il fait de l’extrait du rapport de la Commission de 1991.
« Il est clair que la définition d’« ennemi » contient à la fois une connotation ethnique et une référence à des actes interdits », ont observé les juges, soulignant la dangereuse ambiguïté du document. Ainsi « le mot « Tutsi » est utilisé 14 fois dans le document et, à certains endroits, de manière interchangeable avec « ennemi », et il existe des généralisations qui pourraient indiquer que les Tutsis sont tous unis derrière l’idéologie unique de l’hégémonie tutsie ». Dès lors «on peut se demander si la manière dont le document ENI est formulé [l’extrait en question] qui combine l’appartenance ethnique avec un langage plus direct sur le FPR, est un exemple de « double langage », avec la réelle intention de ses membres de cibler les Tutsis », expliquent les juges.
Pour le procureur de la République, l’affaire est claire : cet extrait constituait « un pas vers une association de malfaiteurs ». Les juges, de leur côté, renoncent à cette interprétation. Ils s’intéressent davantage au contexte dans lequel les événements se sont produits. Premièrement, ils notent que la définition de l’ennemi est courante parmi les militaires, ici et ailleurs. Ainsi, la Commission « n’était pas en soi inhabituelle ou illégitime, surtout compte tenu du fait que les hostilités étaient ouvertes sur le territoire rwandais après l’invasion du FPR le 1euh Octobre 1990.
« Lue dans son contexte, la Chambre ne partage pas l’accusation selon laquelle la définition implique que tous les Tutsis sont des extrémistes souhaitant reprendre le pouvoir », ont écrit les juges. Le contenu peut donc être dérangeant, mais ne démontre aucune intention criminelle. Les magistrats savent aussi, en 2008, que trois ou quatre membres de cette commission comptent parmi les rares officiers supérieurs connus des FAR qui se sont opposés au génocide de 1994, même si les témoignages d’aucun d’entre eux n’ont été recueillis spécifiquement et publiquement par les services de l’armée. Procureur du TPIR.
Justice a été rendue, l’histoire reste
« Il n’est pas affirmé que les prévenus se soient mis d’accord sur un plan en même temps, ni que ce plan consistait en un chemin unique et unitaire, avec une répartition équitable des tâches », expliquent les juges. « Au lieu de cela, la conclusion correcte à tirer de la preuve est qu’à différents moments, chacun des accusés a accepté de participer à un effort plus large et plus prolongé visant à homogénéiser de plus en plus la société rwandaise en faveur des citoyens hutus, dans le but de tuer les Tutsis. , si nécessaire. . C’est leur participation à ce processus – et leur volonté de créer ou d’exploiter diverses opportunités pour y parvenir – qui caractérise leur accord. »
La question juridique de cette relation jugée si décisive est désormais obsolète. Les procès du TPIR sont terminés. Mais sa contribution historique demeure. Dans le cadre de ses travaux sur les procès du TPIR, Justice Info a obtenu une copie de ce rapport qui aurait disparu. Cela appartenait au prévenu. Certaines pages sont malheureusement difficiles à déchiffrer, mais l’essentiel est là. A l’occasion du 30Et anniversaire de la création du TPIR, le 8 novembre 1994, nous en publions aujourd’hui une copie dans le domaine public. Chacun pourra désormais procéder à une analyse plus complète et contextualisée de ce document qui aurait dû façonner, aux yeux du procureur du TPIY, l’histoire de la planification du génocide des Tutsi. Avant que les juges ne lui disent que ce n’était pas si simple.
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