Rodney Dixon, avocat britannique représentant les détenus tunisiens, a adressé mardi 23 septembre une communication à la Cour pénale internationale (CPI) lui demandant d’enquêter sur deux types de crimes pouvant constituer des crimes contre l’humanité : la répression des opposants politiques du président Kaïes Saïd ; et le traitement inhumain des migrants d’Afrique subsaharienne. Cette demande vient en appui à une précédente faite par ce même avocat à la CPI le 5 octobre 2023 pour les mêmes violations présumées.
Ce choix de lier les deux types de crimes, la fureur contre les voix locales de contestation contre le régime et les crimes contre les migrants subsahariens, s’inscrit dans la stratégie judiciaire de l’équipe d’avocats dirigée par Me Dixon, qui y voit des corrélations. .
Depuis plusieurs mois, des images de plus en plus insupportables circulent sur les réseaux sociaux, à travers des médias comme France24et dans les rapports d’organisations internationales telles que Observatoire des droits de l’hommede migrants, hommes, femmes et enfants sans ressources expulsés de Tunisie et abandonnés dans des zones désertiques, en plein été, aux frontières de l’Algérie et de la Libye.
Les violences qui leur sont infligées (coups, tortures, harcèlement psychologique, privations multiples, etc.) sont corrélées, selon l’avocat, à la répression qui frappe tous ces Tunisiens qui osent aujourd’hui critiquer le régime devenu autoritaire du président Saïed. . Un président qui monopolise tous les pouvoirs depuis le coup d’État du 25 juillet 2021 et qui brigue sa réélection à la fonction suprême ce dimanche 6 octobre.
« Les voies de la torture »
Les opérations de refoulement sont difficiles à documenter, la police tunisienne tentant de casser les téléphones des migrants avant de les expulser, comme le rapporte un enquête collaborative menée par Inkyfada, Lighthouse Reports, The Washington Post, Der Spiegel, Enass Media, Le Monde, Irpi Media, Tagesschau, Por Causa et El Pais et publiée le 24 mai 2024. L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) met de côté son, dans une étude intitulée Les moyens de torture publié fin 2023, que les conditions de vie auxquelles sont soumis les réfugiés et demandeurs d’asile dans le désert depuis l’été 2023, ainsi que dans les zones de concentration des migrants sur la côte, à El Amra et Beliana, dans le région de Sfax, au sud du pays, peuvent constituer des cas de torture.
Le 24 septembre, le même collectif qui avait contacté la veille la CPI a organisé une conférence de presse à La Haye. « D’un point de vue juridique, nous pouvons parler de violations du droit international : meurtres, tortures et viols. Crimes commis à une échelle généralisée et systématique. C’est ce qui nous permet de conclure à la compétence de la Cour pénale internationale, compte tenu de la gravité et de la brutalité des attentats, de leur ampleur et du fait qu’ils se produisent également en Libye et en Tunisie », explique l’avocat britannique.
N’oubliez pas qu’en Libye, la Cour pénale internationale est le leader officiellement à partir de 2022 des enquêtes visant à déterminer la responsabilité des groupes armés, des milices et des acteurs étatiques impliqués dans des crimes contre les migrants et les réfugiés, notamment la détention arbitraire, la torture, le meurtre, la persécution, le viol et l’esclavage. Et cela d’ailleurs, le 9 juillet, Volker TürkLe Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a révélé la découverte d’un charnier de cadavres de migrants à la frontière tuniso-libyenne.
Auteurs présumés : le président Saïed et ses ministres
Me Dixon accuse : « Dans notre communication nous avons attiré l’attention sur la responsabilité de plusieurs auteurs […] Il s’agit notamment de l’actuel président Saïed, de l’ancien ministre de l’Intérieur, de l’actuel ministre de l’Intérieur, du ministre de la Justice, du ministre de la Défense et des chefs de l’armée et de la Garde nationale. »
L’OMCT confirme, dans sa « cartographie des violations subies par les personnes en déplacement en Tunisie » réalisée entre juillet et octobre 2023, « la responsabilité directe – des actes des autorités tunisiennes (commis principalement par les forces de sécurité – police, autorités nationales) police, garde-côtes, armée et garde-côtes) – et indirectement de l’État tunisien, faisant également référence aux omissions ou à la tolérance des autorités étatiques envers les violences commises par des acteurs non étatiques (trafiquants ou contrebandiers). »
A Tunis aucun commentaire, ni officiel ni officieux, n’a filtré dans les médias concernant ces actions initiées devant la CPI pour qu’elle étende son enquête libyenne à la Tunisie.
Bouc émissaire de la crise économique
Un tournant décisif s’est produit en Tunisie après un communiqué dépassé 21 février 2023où le président Saïed n’a pas caché qu’il mettait en œuvre des « mesures urgentes » pour freiner « la présence d’un grand nombre de migrants illégaux en provenance d’Afrique subsaharienne ». Il y développe une version tunisienne de la théorie de la substitution, soulignant le danger fantasmé « de réduire la Tunisie à sa dimension africaine et de la priver de son appartenance arabe et islamique ».
Dans les jours qui ont suivi cette déclaration, des centaines de Subsahariens ont été privés de leur emploi, expulsés de leur logement, souvent en pleine nuit, sans préavis, sans pouvoir emporter quoi que ce soit avec eux, encore moins récupérer leur caution. Devenus boucs émissaires d’une profonde crise économique, les migrants ont subi une vague de violences partout où ils se trouvaient, dans les bus, dans le métro, dans les rues… sans pouvoir porter plainte en Tunisie, leur situation administrative les en privant. droite .
Intercepté en mer et abandonné dans le désert
La première semaine de juillet marque un autre tournant dans l’ampleur des violences. Selon le rapport de l’OMCT, le 2 juillet, un premier groupe a été victime d’un déplacement forcé vers la zone militarisée frontalière avec la Libye. Le 3 juillet, après la mort d’un citoyen tunisien à Sfax lors d’un affrontement avec des migrants venus d’Afrique noire, la ville a connu une vague de haine raciale sans précédent envers les personnes d’origine subsaharienne. Plus d’un millier d’entre eux ont ensuite été transférés par les forces de sécurité et l’armée vers les zones désertes, aux frontières avec la Libye et l’Algérie. « Au total, entre juillet et octobre 2023, plus de 3 700 personnes ont été déplacées ou expulsées », précise le même rapport.
Pour Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), organisation qui crée depuis dix ans un observatoire sur la question migratoire, les autorités vont encore changer de braquet en août 2023 : « Depuis, la police commença à expulser en masse vers la Libye et l’Algérie toutes les personnes interceptées sur ses côtes maritimes en direction de l’Italie. Des opérations qui se poursuivent à un rythme soutenu. »
Ben Amor ajoute : « C’est un message envoyé par les autorités à tous les futurs candidats à l’émigration clandestine ».
L’extrême vulnérabilité des sans-papiers en Tunisie
Malgré son adhésion aux Conventions de Genève, la Tunisie n’a pas mis en place de cadre national régissant l’asile ou le statut de réfugié sur son territoire. Ce vide juridique touche particulièrement les migrants subsahariens (21 466 personnes en 2021 selon l’enquête nationale publié cette année-là) dans des conditions parfois extrêmes. En effet, ils ne parviennent pas à obtenir un titre de séjour, ils ne disposent que d’un document du Haut Commissariat pour les Réfugiés, qui n’est souvent pas reconnu par la police. Ils ne sont pas autorisés à travailler. Ce statut de « sans papiers » les empêche d’accéder au système de santé publique et à l’éducation et les soumet à l’exploitation par les employeurs du secteur informel.
« Le discours officiel a toujours été celui du déni, tant sur ce traitement inhumain des migrants que sur leur rapatriement vers des zones dangereuses », observe Ben Amor. Mais cette politique de déni prendra fin le 6 mai 2024. Dans un nouveau discours martial, le président Saïed a déclaré qu’environ 400 migrants irréguliers avaient été rapatriés de force le même jour depuis la frontière orientale du pays. Elle demande et juge nécessaire « l’intervention de nos forces armées et de nos forces de sécurité ».
« Agents étrangers » des ONG
Dans cette longue diatribe, Saïed clame : « Une fois de plus je le dis haut et fort, et je le dis au monde entier : la Tunisie ne sera pas une terre d’accueil pour eux, ni pour leur siège. » Le chef de l’Etat sanctionne les associations et ONG qualifiées de « traîtres » et d’« agents ». [étrangers] », qui, selon lui, perçoivent des sommes de l’étranger » astronomique » pour faciliter l’installation des migrants subsahariens. Dans les jours suivants, six dirigeants d’associations tunisiennes actives dans la défense de la communauté noire tunisienne et des migrants et demandeurs d’asile d’Afrique noire ont été arrêtés et incarcérés. Sonia Dahmani, avocate et chroniqueuse, qui, dans une émission de télévision, taquiné les propos conspirationnistes du président ont été stoppés le 11 mai.
Les opposants tunisiens et les migrants, comme l’a décrit Dixon, se retrouvent ainsi aux prises avec les mêmes sources de violence d’État, qui seront probablement, en raison de leur nature systématique, qualifiées de crimes contre l’humanité devant la CPI.
Responsabilités européennes
Toutefois, pour Ben Amor, la Cour pénale internationale ne doit pas se limiter à ouvrir une enquête sur les responsabilités en Tunisie. « La Cour doit également examiner la complicité européenne, dont les politiques de sécurité actuelles légitiment ces pratiques. [répressives] de Tunisie », insiste le porte-parole du FTDES, évoquant notammentaccord sur les migrations signé en 2023 entre Tunis et Bruxelles.
Ainsi le 2 mai 2024, quatre jours avant le discours incendiaire du président, les ministres de l’Intérieur italien, algérien, tunisien et libyen se sont réunis à Rome pour « adopter une approche globale de lutte contre le phénomène de l’immigration irrégulière avec la participation des pays d’origine », transit et destination », note-t-il un communiqué de presse publié par le ministère de l’Intérieur.
En Tunisie, on ne s’arrête pas aux discours : dans la soirée du 2 au 3 mai, la police a brutalement démantelé plusieurs abris de fortune installés à Tunis dans un jardin public à proximité des bureaux de l’Organisation internationale pour les migrations et du HCR, et à des oliveraies près de la ville de Sfax, où hommes, femmes et enfants étaient entassés.
Amnesty International préoccupée par l’escalade de la violence le 16 mai déclaré : « L’Union européenne (UE) doit revoir d’urgence ses accords de coopération avec la Tunisie, pour s’assurer qu’elle ne soit pas complice des violations des droits fondamentaux des migrants et des réfugiés, ni de la répression exercée contre les médias, les avocats, les migrants et les militants. » L’organisation de défense des droits de l’homme affirme avoir écrit à plusieurs reprises aux dirigeants de l’UE pour leur faire part de leurs inquiétudes quant aux répercussions de la coopération avec la Tunisie sans évaluation préalable des risques en matière de droits de l’homme. Ses appels sont apparemment restés sans réponse.
Suite à un enquête du journal britannique The Guardiandénonçant les viols systématiques de femmes migrantes par les forces de sécurité tunisiennes, la médiatrice de l’Union européenne Emily O’Reilly a annoncé l’ouverture d’une enquête en avril dernier. Ses conclusions, indique InfoMigrantssont attendus dans les semaines à venir.
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