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« Le tribunal condamne le capitaine Moussa Dadis Camara à 20 ans de prison. » Sa sentence vient d’être prononcée et l’ancien président guinéen affiche un sourire froid. C’est dans un silence presque irréel que le président du tribunal correctionnel de Dixinn, Ibrahima Sory 2 Tounkara, lit le verdict, après vingt-deux mois de procès, ce mercredi 31 juillet 2024.

Aucune réaction du public. Pourtant, les attentes sont immenses, près de 15 ans après le massacre du stade de Conakry, où plus de 150 personnes sont mortes, des centaines d’autres ont été blessées et plus d’une centaine de femmes ont été violées. Cette explosion de violence, lors de la répression par les forces de sécurité d’un meeting de l’opposition le 28 septembre 2009, a traumatisé la Guinée.

Il faut dire qu’en cette journée historique les absents sont nombreux. La plupart des victimes, craignant toujours des représailles, ont préféré regarder l’audience à la télévision. Même les fauteuils des avocats sont restés vides. Les défenseurs des parties civiles, mais aussi ceux de la défense, ont décidé de donner suite à l’appel au boycott des audiences lancé par l’Ordre des avocats de Guinée. Ce dernier dénonce les disparitions forcées qui touchent actuellement les militants de la société civile dans le pays.

Peine à perpétuité pour Pivi, le prisonnier évadé

Dans sa décision, le tribunal a maintenu la requalification des faits en crimes contre l’humanité. C’est sur le fondement de sa responsabilité de supérieur hiérarchique que Dadis Camara a été condamné à une peine finalement plus clémente que celle demandée par le parquet – qui comprenait notamment la perpétuité contre l’ancien chef de l’Etat. Le patron de la lutte antidrogue, Moussa Tiegboro Camara, qui a participé avec ses hommes à la répression au stade, a également été condamné à 20 ans de prison. Une seule peine d’emprisonnement à perpétuité a été prononcée contre Claude Pivi. Ministre de la sécurité présidentielle au moment des faits, il était en fuite depuis son évasion en novembre. Marcel Guilavogui, ancien protégé du président qui a été vu au stade en train de tabasser des dirigeants politiques, est condamné à 18 ans de prison. 15 ans pour Blaise Goumou, gendarme sous Tiegboro. Mamadou Aliou Keita écope de 11 ans de prison. Paul Mansa Guilavogui, 10 ans.

Le tribunal a considéré a posteriori qu’Aboubacar Diakité, dit « Toumba », aide de camp de Dadis Camara et chef de la garde présidentielle, s’était « distingué par sa bonne foi » lors du procès et a donc prononcé une peine de dix ans de prison. contre lui. En prison depuis 2017, il pourrait donc être libéré d’ici trois ans. Quatre accusés ont été acquittés, dont l’ancien ministre de la Santé, Abdoulaye Chérif Diaby.

Les organisations de défense des droits de l’homme ont salué « un verdict historique « . Selon une déclaration du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), « les juges guinéens ont envoyé un signal clair selon lequel personne n’est au-dessus des lois et ceux qui commettent des crimes couverts par le Statut de Rome seront traduits en justice ».

Joie et déception

A la sortie du tribunal, aucune manifestation de joie n’a été observée parmi les quelques victimes présentes. Ils expriment leur satisfaction quant à la modération. « Je suis contente d’être venue, quand on accuse quelqu’un au tribunal, il faut être là jusqu’au bout », explique soulagée une jeune femme violée au stade et qui a requis l’anonymat. « Nous sommes très contents de la décision du président du tribunal. Il a dit que c’était vrai », a-t-il ajouté. Elle salue la requalification des faits en crimes contre l’humanité, ce qui a pour elle une signification symbolique. Sur cette base, huit prévenus ont été condamnés, dont les principaux protagonistes de l’affaire : l’ancien président Pivi, Tiegboro, Guilavogui et Toumba. C’est un verdict, par exemple, dit-il. « Ils n’ont rien fait pour arrêter le massacre. Tous les responsables devront désormais en assumer la responsabilité. » Elle est encore un peu déçue que Dadis ait échappé à la prison à vie, mais assure qu’elle est « en retard sur la justice ». Les juges, le jour du verdict, n’ont pas développé leurs arguments sur la peine.

Appel des avocats de Dadis

Cette décision ne marque cependant pas la fin du combat pour les victimes. Il y aura probablement un autre procès. Les avocats de Dadis ont déjà annoncé qu’ils feraient appel.

Il semble que pour les parties, malgré sa durée, ce processus laisse le sentiment d’une affaire inachevée. Même si la question de la sécurité a été au centre des débats ces derniers mois et qu’une loi a été adoptée il y a deux ans pour protéger les victimes, ces dernières affirment qu’aucune mesure n’a été prise par les autorités et qu’elles restent en danger après l’arrêt de la justice. phrase.

La lutte se poursuit également pour obtenir réparation, la sentence établit qu’il appartient au condamné d’indemniser les appelants pour ces dommages. Les montants sont astronomiques, surtout pour des personnes détenues, parfois pendant de nombreuses années. Le tribunal a ainsi décidé d’accorder à chaque victime de viol 160 000 euros, 100 000 euros en cas de décès ou de disparition, 20 000 euros pour chaque cas de torture, et pour chaque victime de coups et blessures. Il y a très peu de chances que ces sommes soient versées et le tribunal n’a accordé qu’une compensation financière alors que les victimes souffrent d’un manque de soutien psychosocial et médical.

La réponse de la Cour à cette question est largement critiquée par les plaignants. « L’État a dit qu’il pouvait tenir ce procès en Guinée, ici. C’est donc à l’État d’indemniser, c’est à lui d’assumer ses responsabilités », demande lui-même le survivant du massacre.

Disparitions non résolues

La sentence a été accueillie très froidement par la défense. «C’est un jour sombre pour la justice guinéenne», a commenté Maestro Pépé Antoine Lamah, ténor du Barreau guinéen et membre du collectif des avocats de la défense de Dadis Camara. Il dénonce une décision « injuste », « privée de toute substance juridique et prise en violation des droits de la défense ». Selon lui, les faits n’auraient pas dû être requalifiés en crimes contre l’humanité. La question, qui avait fait l’objet de nombreux débats lorsqu’elle a été soulevée en mars, l’a été peu avant la fin du procès et le tribunal aura donc attendu la décision.

Même du point de vue des parties civiles, le processus n’aura pas tenu toutes ses promesses. Le dossier comporte encore des zones d’ombre : les victimes n’ont jamais été retrouvées, les charniers où les militaires sont soupçonnés d’avoir fait disparaître certains cadavres n’ont jamais été localisés. Dadis Camara aurait pu laisser éclater la vérité, mais « il s’est muré dans le silence », regrette Alpha Amadou DS Bah, coordinateur du collectif des avocats des victimes.

107 victimes à la barre

Cette première expérience de procès pour crimes de masse en Guinée reste globalement positive et constitue une réussite pour le système judiciaire de ce pays, ayant réussi à juger un ancien président – ​​un fait qui reste en soi une exception dans l’histoire des procès pour crimes de masse internationaux. crimes. crimes. Autre motif de satisfaction : la justice a réussi à surmonter les difficultés d’organisation d’un tel procès. Jusqu’au bout, le président du tribunal a assuré l’ordre de l’audience. Il a également laissé une large place à la parole des victimes qui sont passées à la barre pendant plusieurs mois. Au départ, ils n’étaient censés en présenter qu’une cinquantaine, mais au fur et à mesure des auditions, ils se sont multipliés. Au total, 107 victimes ont pu témoigner.

Dans un pays dont l’histoire est marquée par des drames à répétition et des dictatures militaires, la question de l’héritage de ce processus se pose désormais. « Lors de son ouverture, nous avions dit que le 28 septembre 2022 pourrait être déclaré comme l’année zéro de la fin de l’impunité dans notre pays. Malheureusement, les abus continuent. Les opposants disparaissent. C’est assez frustrant de voir de telles pratiques perdurer », déplore Me Bah. Une chose est sûre, selon l’avocat : « Depuis qu’il a été déféré à la justice le 28 septembre, il est fort probable que d’autres dossiers le soient aussi. La machine est lancée, d’autres expérimentations vont inexorablement s’organiser. »

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