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Pendant près de deux heures, la quarantaine de personnes réunies ce 26 juin dans une chambre d’hôtel à Bamako, à l’invitation du bureau local de la Cour pénale internationale (CPI), semblaient très concentrées. Le public, composé en grande partie de défenseurs des droits de l’Homme, mais sans la présence des victimes, a suivi en direct la lecture du résumé du verdict contre Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud, ancien commissaire de la police islamique pendant l’occupation du célèbre ville de Tombouctou, au nord du Mali, par les groupes armés Ansar Eddine et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), il y a plus de dix ans. Seule l’histoire d’un voleur présumé amputé de la main sur une place publique durant ces heures sombres racontée par le président du tribunal Antoine Kesia-Mbe Mindua a fait réagir la salle. Parmi les réactions indignées, certains ont remarqué à l’écran le visage inexpressif, presque serein, d’Al Hassan, assis sur le banc des accusés de La Haye, en bazin vert anis et coiffé du turban traditionnel.

Après quatre ans de procès et à la majorité de trois juges, Al Hassan a été reconnu coupable de certaines des accusations portées contre lui concernant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis entre le 2 avril 2012 et le 29 janvier 2013 à Tombouctou : torture, traitements cruels. , persécutions et autres actes inhumains. Des crimes qu’il a lui-même commis directement, ou qu’il y a contribué avec d’autres, ou qu’il a apporté son aide et son assistance. Cependant, le juge Mindua a exprimé son désaccord et a acquitté Al Hassan de toutes les accusations, apparemment au motif qu’il avait agi sous la contrainte. Et surtout, l’ancien jihadiste est acquitté, par la majorité des juges, des accusations de crimes de guerre de viol, d’esclavage sexuel et autres actes inhumains sous forme de mariages forcés.

« La Cour pénale internationale a abandonné les femmes »

C’est justement cette absolution qui a d’emblée du mal à passer au Mali. Le responsable d’une association de victimes, qui demande l’anonymat, assure que « la Cour pénale internationale a abandonné les femmes ». Il dénonce un verdict déséquilibré qui va accentuer le traumatisme des victimes de crimes sexuels. « J’ai moi-même été attaqué pendant l’occupation. Pour nous, à Tombouctou, Al Hassan est responsable des crimes commis», s’énerve-t-il. MEt Seydou Doumbia, qui fait partie d’un groupe de trois avocats représentant 2 196 victimes, juge le verdict peu satisfaisant. « Une partie importante de nos victimes touchées par les crimes sexuels ne sont pas satisfaites », a-t-il confié, assurant que les preuves présentées étaient suffisantes pour reconnaître la culpabilité d’Al Hassan. Il est toutefois encore trop tôt pour décider s’il y aura ou non appel, a-t-il ajouté. « Nous sommes un collectif d’avocats, il faut d’abord adopter une position commune. Pour le moment, nous sommes suspendus du prononcé de la sentence. » Ce qui pourrait prendre encore plusieurs semaines.

Selon l’analyse de l’avocat, la Cour a notamment estimé que les crimes sexuels ont été perpétrés par des membres de la Hisba (police des mœurs) et non par ceux de la police islamique sous l’autorité d’Al Hassan. MEt Doumbia trouve ce jugement curieux. Il tient à souligner que certains viols ont été commis dans des lieux sous la responsabilité d’Al Hassan et que des membres de sa police islamique ont été impliqués dans les mariages forcés. Yehia Ahma Cissé, l’un des rares dans la « cité aux 333 saints » à accepter de témoigner ouvertement, va plus loin. Le président de la coordination régionale de l’association des victimes de Tombouctou, affirme qu’il existe des témoins qui peuvent incriminer directement Al Hassan. « Il savait tout. Il est dommage que la Cour ne nous ait pas appelé à témoigner. Que dirons-nous aux femmes maintenant ? » se demande-t-il, avant de s’arrêter et de continuer. « Celui dont ils ont l’image en tête, dont le nom suffit à prononcer pour qu’ils commencent à avoir peur, selon la CPI, n’est coupable d’aucun crime sexuel, est incompréhensible. »

Dans son communiqué, le procureur de la CPI Karim Khan, pour qui la poursuite des violences sexuelles est une priorité officielle, a préféré saluer le verdict. « La condamnation d’Al Hassan marque une étape importante qui nous rapproche de notre objectif de traduire en justice les principaux responsables des atrocités commises contre la population civile à Tombouctou et dans la région. Cette affaire revêt une importance particulière pour la Cour pénale internationale et pour mon Bureau, car c’est la première fois qu’un accusé est jugé et condamné pour persécution religieuse et pour avoir imposé des peines en dehors d’une procédure régulière. il écrit.

En parlant de Tombouctou

Si à Bamako la Cour pénale internationale avait mis en place un système permettant de suivre en direct la retransmission de la sentence prononcée à La Haye, à Tombouctou, où se trouvent la plupart des victimes, la rencontre semble être passée inaperçue. « J’ai parlé toute la journée avec d’autres responsables d’associations de victimes, mais personne n’a évoqué la peine, ce qui veut dire qu’ils ne la connaissaient pas », raconte Yehia Ahma Cissé. Plusieurs responsables d’associations de victimes et journalistes de Tombouctou, contactés par téléphone, ont pris connaissance de la sentence lors de ces appels.

En effet, la CPI a envoyé des invitations à certaines personnes à Tombouctou, mais celles-ci ont dû se rendre à Bamako, la capitale, à leurs frais. Pour des raisons logistiques et en raison de la mauvaise connexion internet, la retransmission n’était pas prévue à Tombouctou, confie Margot Tedesco, responsable de l’information publique de la CPI au Mali. Selon elle, la CPI entend désormais mener un travail d’information, avec le soutien des associations et des médias, afin que les victimes connaissent la peine et ses implications. Les victimes attendent de connaître la sentence qui sera prononcée contre Al Hassan. Mais ils disent aussi attendre avec impatience que la Cour se prononce sur l’indemnisation. Dans la salle, lors de l’émission, la présidente d’une association de femmes a lancé un appel en ce sens.

Mais à ce stade, la Cour n’a pas évoqué les réparations. « Aujourd’hui, nous ne sommes pas plus avancés qu’il y a quelques semaines. Toutes les victimes ont demandé réparation, nous attendons des décisions claires de la Cour pénale internationale à ce sujet », déclare Cissé. En 2021, le Fonds au profit des victimes de la CPI a commencé à verser des indemnisations individuelles aux victimes de la destruction des mausolées de Tombouctou. Ces indemnisations s’inscrivent dans le cadre du procès contre Ahmad al-Faqi al-Mahdi, condamné en septembre 2016 à neuf ans de prison après avoir plaidé coupable. Un an plus tard, le tribunal accorde une indemnisation individuelle et collective d’un montant de 2,7 millions d’euros, dont un million à titre individuel. Après ce nouveau verdict, accompagné de trois décisions dissidentes dans lesquelles chaque juge ne semble jamais d’accord avec l’autre, l’attente de ces compensations commence désormais.

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