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«C’était un vendredi. À 12 ans, je suis sorti faire une course dans le centre-ville », raconte Huguet Francis Mongombé, ancien commissaire de la Commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation (CVJRR). « Un collègue m’appelle et me demande de revenir rapidement au bureau. « La gendarmerie est venue fermer les portes de la Commission », m’a-t-il raconté au téléphone. J’ai immédiatement regardé en arrière. J’arrive et constate une présence policière massive. »

Ce jour-là, Serge Hubert Bangui, premier vice-président de la CVJRR, revenait d’une mission à Nola, dans le sud-ouest du pays, pour recueillir, dit-il, des témoignages sur les événements meurtriers survenus de 2012 à 2016 dans le République centrafricaine. . « Quand nous sommes arrivés, il y avait une vingtaine de gendarmes bien cagoulés, arrivés dans deux véhicules. Ils nous ont dit de prendre l’essentiel et de quitter le bureau », raconte-t-il.

« Soudain, les gendarmes sont arrivés et nous ont dit qu’ils avaient reçu l’ordre de fermer le quartier général », raconte la présidente de la CVJRR, Marie-Edith Douzima, qui était sur place. «Puis j’ai demandé : ‘De qui vient l’ordre ?’ Avez-vous une pièce d’identité ? – ‘Non, c’est juste une commande que nous avons reçue’. Jusqu’à présent, nous n’avons reçu aucun document. »

Dans sa précipitation, Mongombé n’a pu emporter avec lui que son cahier, quelques livres et son ordinateur. « Je n’y ai pas remis les pieds depuis ce jour-là », a-t-il déclaré. Pour l’ancien commissaire de la CVJRR, cet acte est « une agression du gouvernement, en violation de la loi portant création de la CVJRR, qui crée les conditions pour mettre fin au mandat des commissaires ».

« Mauvaise gestion avérée »

Le 7 mai, quatre jours après la fermeture de la CVJRR, un décret a été lu à la radio nationale limogeant tous les commissaires de cette institution.

Puis, quelques jours plus tard, le porte-parole du gouvernement a convoqué une conférence de presse et a fourni une explication officielle. « En Conseil des Ministres, le Ministre de l’Action Humanitaire a informé le gouvernement des problèmes survenus au niveau de la CVJRR depuis sa création. Une rivalité, une guerre de positions entre les membres de la commission a alourdi le travail au niveau interne », revendique Maxime Balalou, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, avant de préciser : « Il y a des cas d’indélicatesse, de mauvaise gestion avérée, de ressources alloués par les partenaires utilisés à d’autres fins, utilisation abusive des ressources matérielles… Ce n’est pas bien. »

Le gouvernement met donc fin brutalement au mandat des onze commissaires de la CVJRR, commission créée en 2020, et entame une procédure de recrutement de nouveaux commissaires, qui ont jusqu’au 26 juin pour déposer leur candidature.

Les raisons invoquées par l’État sont pour la plupart confirmées par certains commissaires eux-mêmes, ainsi que par d’autres acteurs du secteur de la justice et des droits de l’homme.

Serge-Hubert Bangui rejette par exemple les accusations de détournement de fonds. « Le gouvernement s’est appuyé sur quel document pour affirmer qu’il y avait eu un détournement de fonds ? Pour nous, cela reste une accusation. » Mais il dit alerter depuis quelques temps sur une mauvaise gestion : « Le président a confisqué la gestion comptable de l’institution. Par deux fois, le gouvernement a alloué 200 millions de francs CFA [305 000 euros environ] pour la commission. Le président a toujours réussi avec le comptable. Mais la responsabilité incombe à l’assemblée plénière [de la CVJRR]. Depuis 2022, nous avons demandé à plusieurs reprises à la Cour des Comptes de venir réaliser un audit. Cela n’a jamais été fait. »

Interrogé par Justice Info, Douzima nie avoir confisqué la gestion comptable : « La loi impose au ministère des Finances de nommer un comptable à la CVJRR. Il a été nommé en janvier 2023. Je n’étais que l’ordonnateur, mais le véritable responsable des finances était le comptable. Avant la nomination du comptable, pour chaque sortie d’argent, deux signatures étaient requises : la mienne et celle du vice-président. »

Une crise de leadership insoluble

Le dysfonctionnement au sein du CVJRR n’était guère un secret. « Même lors des réunions et tables rondes avec les partenaires, ils [les commissaires] ils se sont affrontés devant tout le monde. Cela n’a pas créé un climat serein pour l’avancement des travaux », témoigne Evrard Bondadé, secrétaire général de l’Observatoire centrafricain des droits de l’homme (OCDH).

Selon un autre ancien commissaire, qui a requis l’anonymat, ce dysfonctionnement était dû à une crise de leadership : « Le président n’était pas avec nous. Il a continué à exercer sa fonction d’avocat en violation de la loi qui laisse penser à une incompatibilité de la fonction de commissaire avec d’autres fonctions publiques, privées ou politiques », a-t-il déclaré. « En mars 2023, nous avons organisé une table ronde avec des partenaires et nous avons présenté nos stratégies et nos plans de travail. Tout cela est resté lettre morte, car immédiatement après, le président est parti pour La Haye. Il est revenu en septembre », ajoute-t-il, les conflits au sein de la CVJRR ont commencé très tôt : immédiatement après la prestation de serment des commissaires. la création du bureau avait déjà créé des divisions.

La loi instituant la commission prévoit, en article 13, que « Les commissaires travaillent à plein temps au service de la CVJRR ». Mais « exercer la profession d’avocat n’est pas incompatible avec la loi CVJRR. C’est une profession libérale, rétorque Douzima. Et cela ne m’a pas empêché d’assumer le rôle de président de la CVJRR. »

Pour les organisations de défense des victimes, la situation était intenable. «C’est une décision que nous saluons. Il était sage de suspendre le mandat de ces commissaires. La tâche qui leur est confiée est immense. Il fallait bien commencer quelque part, mais ils ont donné la priorité à leurs intérêts (…) et ont perdu du temps en disputes internes », ajoute Bondadé de l’OCDH.

« C’était prévisible. Il n’y a pas eu d’accord entre les commissaires. Un groupe de partenaires a essayé de les réconcilier mais ça n’a pas marché. Il y a un conflit de leadership et rien ne marche. Je suis d’accord avec le gouvernement », ajoute Francine Evodie Ndémadé, vice-présidente. -président de la plateforme nationale des associations de victimes de la crise en République Centrafricaine.

« Il n’y a jamais eu d’indépendance du CVJRR »

Selon Serge Hubert Bangui, la présidence leur a été imposée par les ministres de la Justice et de l’Action humanitaire. Lorsque les commissaires ont constaté que les choses n’avançaient pas, ils ont décidé de destituer le président à la majorité. « Mais pourquoi le gouvernement a-t-il refusé de valider son limogeage ? », se demande-t-il aujourd’hui.

« Lorsque nous avons décidé de destituer le président en avril 2023, c’est à ce moment-là que nous avons vu le vrai visage de la politique », explique un ancien commissaire, qui a également demandé à rester anonyme. « Il n’y a jamais eu d’indépendance du CVJRR. L’État a introduit plusieurs responsables auprès de la CVJRR pour surveiller les actions de la commission. Nous travaillions avec des espions et le gouvernement était au courant de toutes nos discussions. »

Des accusations confirmées par Aubin Kotto Kpènzè, directeur de l’association des victimes de la LRA de Joseph Kony, qui se dit choqué comme beaucoup de victimes… « La CVJRR est notre espoir. Cela devrait faire la lumière sur ce qui nous est arrivé. Mais les autorités centrafricaines ne veulent pas que la lumière soit faite », accuse-t-il. « Certaines autorités seraient impliquées dans des crimes dans ce pays. Aujourd’hui, les bourreaux ont des responsabilités ; ils gouvernent, ils prennent des décisions. Le CVJRR travaille les mains liées. »

Une dizaine de victimes ont été interrogées en trois ans

Depuis trois ans, la commission n’a pas tenu d’audiences publiques. Et moins d’une dizaine de victimes, pour la plupart des leaders communautaires, ont été entendues, précise le président. « Nous avons prêté serment en juillet 2021. C’est en juillet 2022 que nous avons pu louer un logement. Le règlement intérieur élaboré lors de notre prise de fonction n’a été validé qu’en mars 2023. Toutes ces étapes nous ont mis dans la boucle», raconte Serge Hubert Bangui.

Pour Huguet Francis Mongombé, la commission a encore pu « avancer ». « Lorsque nous avons commencé, nous n’avions que la loi comme seul document de travail. Aujourd’hui, nous avons élaboré près d’une vingtaine de documents scientifiques pour guider le CVJRR dans sa mission », a-t-il déclaré, citant des stratégies d’intervention, de communication, d’enquête, de protection des témoins et des victimes, une réglementation des procédures et des preuves… ou encore un mandat plan triennal.

Selon plusieurs commissaires, la commission était entrée dans une phase de « collecte d’informations sur les événements de 2012 à 2016 », une large période allant de la naissance de la rébellion Séléka jusqu’à la première élection de l’actuel président Faustin-Archange Touadéra. « Nous étions très en avance », assure Douzima. « Nous avions prévu de démarrer les audiences en décembre, après celles de septembre », précise également Bangui.

Quoi qu’en disent les anciens commissaires, pour Arnaud Yaliki, président de l’Observatoire centrafricain de la justice transitionnelle, « il y a une particularité [historique] en RCA : les commissaires sont incapables de surmonter les divisions et de se concentrer sur leur mission. Cela a malheureusement conduit à leur expulsion. Je ne peux pas dire qu’ils n’ont rien fait. Mais ils auraient pu faire mieux s’ils avaient été responsables et professionnels. »

« En trois ans, le bilan est mitigé », conclut-il. « C’est particulièrement regrettable pour les nombreuses victimes qui attendent la vérité, la justice, des réparations et des réformes institutionnelles pour corriger les inégalités et les injustices qui sont à l’origine de la récurrence des crises en République centrafricaine. »

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