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Un sénateur national, Hubert Mbingo, un général de la Police nationale congolaise (PNC), Polydore Omokoko, et un secrétaire exécutif du gouvernement provincial du Kasaï, Sylvain Pitshi Ndambi, figuraient parmi les onze accusés de ce procès très attendu dans la province du Kasaï. , inaugurée le 20 mai devant le tribunal militaire de l’ex-Kasaï-Occidental (actuelles provinces du Kasaï et du Kasaï-Central), situé au centre de la République démocratique du Congo (RDC).

Ils étaient poursuivis pour participation à un mouvement insurrectionnel, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, détention illégale d’armes de guerre, association de malfaiteurs et terrorisme. Selon l’accusation, ces actes ont été commis en 2017, au plus fort du conflit de Kamwina Nsapu, qui a causé la mort de centaines de personnes, ainsi que l’exil d’au moins 1,5 million de Congolais.

Un sénateur et un général sont accusés

Mbingo et Omokoko, respectivement vice-gouverneur du Kasaï et colonel de la police nationale congolaise au moment des faits, sont accusés d’avoir été des chefs de la milice Bana Mura, agissant au nom du pouvoir en place. Cette milice, soupçonnée d’être responsable de violences ethniques, aurait reçu des ordres de ces personnalités pour commettre des violences, notamment à Kamonia, ville située à 75 kilomètres de Tshikapa, la capitale de l’actuelle province du Kasaï.

Selon une source proche du dossier, un seul des onze accusés, Tshitsho Lopupu, est aujourd’hui en détention ; tous les autres sont en liberté. Seuls quatre d’entre eux étaient présents devant le tribunal militaire : Tshitsho Lopupu, Kabundi Mulamba Touré, Ihongo Kayikula Radjabu et Pitshi Ndambi. Aucun des sept autres accusés n’a comparu à la barre.

Le tribunal militaire de Kananga (photo), dans la province du Kasaï-Central (RDC), a ouvert le 20 mai le procès de onze prévenus pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis sur le territoire de Kamonia entre 2017 et 2018. Huit jours plus tard, il s’est déclaré incompétent. ©DR

Kamwina Nsapu contre Bana Mura

L’insurrection de Kamwina Nsapu a opposé pendant trois ans, entre 2016 et 2019, les miliciens fidèles au chef Jean-Pierre Mpandi (Kamwina Nsapu), assassiné en août 2016, aux forces de sécurité nationales. Née dans le territoire de Dibaya au Kasaï Central, la rébellion s’est étendue. dans toute la région du Kasaï qui comprend cinq provinces : Kasaï, Kasaï-Central, Kasaï-Oriental, Lomami et Sankuru. En réponse à ce soulèvement de la milice Kamwina Nsapu, les autorités alors au pouvoir ont créé une milice, les Bana Mura. Ce qu’ils ont toujours nié.

Les Bana Mura étaient issus de populations bantoues non lubaphones (Pende, Chokwe et Tetela), tandis que les Kamwina Nsapu étaient des populations bantoues lubaphones (Luba, Lulua). Dans la ville de Kamonia, c’est un Tetela, Polydore Omokoko, alors colonel, qui organisa les Bana Mura en leur distribuant des armes.

Témoignages recueillis par enquêteurs de l’ONU dénoncer cette complicité entre les services de l’État et Bana Mura au premier semestre 2017. Au moins 251 personnes ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires et d’assassinats ciblés entre le 12 mars et le 19 juin 2017, dont 62 enfants, rapporte la Mission des Nations Unies en RDC, qui a identifié au moins 80 charniers dans la région. Des cas de viols ont également été signalés.

« Le tribunal ne juge pas les généraux »…

Sept ans après les événements, la justice militaire de la RDC est parvenue à organiser ce procès. Le tribunal militaire de l’ex-Kasaï-Occidental, dont le siège est à Kananga (dans l’actuelle province du Kasaï-Central), a parcouru plus de 300 kilomètres pour audiences nomades à Kamonia et à Tshikapa, la capitale de la province du Kasaï. Les prévenus ont dû faire face à 119 victimes constituées parties civiles. Seules 78 d’entre elles, en majorité des femmes, ont été entendues à Tshikapa et Kamonia.

Mais après seulement huit jours d’audience, le tribunal militaire s’est déclaré incompétent pour connaître de l’affaire. « Aucun juge ne peut violer la compétence personnelle… Lorsque votre juridiction n’est pas autorisée à juger un justiciable qui ne relève pas de votre juridiction, vous devez laisser tomber. Dans le cas présent, il y a un général. Le tribunal militaire ne juge pas les généraux », a insisté le premier président du tribunal militaire de l’ex-Kasaï-Occidental, Innocent Mayembe, à l’issue du procès.

En raison de leur grade et de leur haut niveau de responsabilité, la juridiction compétente dans le cas de ces personnalités est la Haute Cour Militaire sise à Kinshasa, a statué le tribunal de Tshikapa. La procédure exige cependant que tous les autres accusés soient tenus responsables devant le tribunal compétent, y compris l’accusé le plus haut gradé, à savoir le général, précise Ahmed Useni, professeur de droit à l’Université de Kinshasa. Le procès est donc annulé pour tous les accusés.

La défense se dit satisfaite. « La loi a été dite », a déclaré Maître Godet Kulenfuka, président du collège des avocats de la défense. « Le sénateur et le général, mais aussi le secrétaire exécutif du gouvernement provincial qui a rang de ministre, ne pourront pas comparaître devant ce tribunal militaire », a-t-il déclaré, avant de préciser qu’ils sont prêts à défendre leurs clients s’ils sont traduits devant à leurs juges naturels.

Il y a un étonnement du côté des parties civiles. « Nous sommes déçus car nous constatons que la loi a été torpillée », déplore Michelin Pungi, avocat des parties civiles. Il rejette la théorie de la qualité des accusés, estimant que le juge aurait dû prendre en compte le principe de « l’inviolabilité des faits », jugeant les accusés selon leur qualité au moment de la commission présumée des faits.

Quelle juridiction pour quel tribunal ?

Dans les procès en RDC, la compétence des tribunaux judiciaires est souvent remise en question en raison de la qualité des justiciables. Certaines juridictions privilégient la qualité des prévenus au moment des faits, tandis que d’autres soutiennent que leur qualité doit être appréciée au moment du procès…

Ce problème s’est posé lors de procès contre l’ancien Premier ministre Matata Ponyo (2012-2016) dans une affaire de détournement de plus de 200 millions de dollars pour le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, projet lancé en 2014. Or, selon la Constitution de la RDC, « la Cour constitutionnelle est la juridiction pénale de le chef de l’État et le Premier ministre. Dans l’affaire Ponyo, la défense a fait valoir que la Cour constitutionnelle n’avait pas compétence pour juger un ancien Premier ministre. La Haute Cour s’est déclarée incompétente en 2021, avant de faire marche arrière, suite à un arrêt de la Cour de cassation en 2022. Initialement prévue en juillet de cette année, l’instruction de cette affaire devrait débuter le 22 juillet : voici l’actualité du Pour le moment, le processus n’en est qu’à ses débuts.

Pour le professeur Useni, le privilège de juridiction n’instaure pas l’impunité : il consiste à éviter « l’ascendant du justifiable sur le juge ». Dès qu’un tribunal se déclare incompétent, c’est aux parties civiles de se tourner vers le juge compétent, explique-t-il. Concernant le procès de Bana Mura, les avocats des victimes vont faire appel devant la Haute Cour Militaire pour tenter d’obtenir la comparution de l’accusé.

Kasaï : seuls les miliciens condamnés

Un autre procès lié au conflit de Kamwina Nsapu s’est ouvert en mars 2023 à Kinshasa. Celle du cas Mulombodi, qui concerne deux officiers supérieurs. Mais c’est arrêté depuis un an : le tribunal devrait être recomposé, les juges ont été transférés dans d’autres régions. Par conséquent, dès que les procès impliquent des représentants de l’État, la question se complique. Mais lorsqu’il s’agit de miliciens, les tribunaux sont plus diligents et les condamnations plus rapides : dans la région du Kasaï, quatre procès avec condamnations pour crimes de guerre contre les miliciens Kamwina Nsapu : dans le village Mayi Munene (province du Kasaï), à Kongolo Moshi (Kazumba territoire) et Bana Ba Ntumba (territoire de Dimbelenge) et à Kananga, dans l’affaire du meurtre de deux experts de l’ONU, au Kasaï Central.

Fin 2021, dans un communiqué, la Société congolaise pour l’Etat de droit, l’une des ONG les plus actives au Kasaï, exprimait « de sérieux doutes sur la volonté du gouvernement à lutter contre l’impunité » dans cette province.

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