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Ce 11 décembre 2024, à 16hEt Le jour du procès, en plein milieu du plus grand procès de l’histoire de la Suède, Ian Lundin, l’un des deux accusés, prend enfin la parole. Président à l’époque de Lundin Oil, compagnie pétrolière suédoise qui a changé plusieurs fois de nom, il est accusé, avec Alexandre Schneiter, qui occupait entre autres le poste de PDG, de complicité de crimes de guerre commis au Soudan entre 1997 et 2003.

L’enquête qui a donné lieu à ce méga-procès de deux ans et demi a été ouverte en 2010 après que le procureur Magnus Elving, décédé il y a un an, ait lu le rapport « Dette impayée » de l’ONG Coalition européenne sur le pétrole au Soudan ( ECOS). Cet article examine les crimes de guerre commis dans le bloc 5A au cours des années pendant lesquelles le consortium pétrolier, dirigé par Lundin Oil AB, opérait. Selon ce rapport, dans ce bloc couvrant une superficie de 29 885 km2 Dans l’État d’Unity, aujourd’hui Soudan du Sud, 12 000 personnes ont perdu la vie et 160 000 autres ont été déplacées au cours de cette période.

Plusieurs jours sont consacrés à l’interrogatoire de Lundin, interrompu pour les vacances de Noël et repris mi-janvier pour quelques jours, avant que ce soit au tour d’Alexandre Schneiter d’être interrogé pendant une semaine par des procureurs, des représentants des parties civiles, puis par son propres défenseurs.

« Je ne me souviens pas »

Dans la salle 34 au deuxième étage du palais de justice de Stockholm, un échange surprenant a lieu en plusieurs langues. Au cours des quatre jours d’interrogatoire menés avant les vacances de Noël, la procureure Karolina Wieslander a posé des questions en suédois à Lundin, un citoyen suédois qui parle mal le suédois, ayant vécu toute sa vie à l’étranger et à qui, s’il comprend les questions dans cette langue, il a posé de répondre en français ou en anglais, langue finalement choisie. Depuis le début du procès, à l’exception des parties civiles sud-soudanaises, seul Alexandre Schneiter a suivi le débat avec des écouteurs, seulement il ne comprend pas le suédois. Lors des pauses à la cantine du tribunal, les deux prévenus parlent également français.

Sur le stand, Lundin explique que l’International Petroleum Corporation – le prédécesseur de Lundin Oil, aujourd’hui Orrön Energy – était une société d’exploration pétrolière axée sur l’exploration et la vente de concessions, et qu’il y occupait des fonctions de direction, soulignant ses responsabilités techniques déléguées à son subordonnés.

Mais dans la salle 34, les questions recevront une réponse par cœur de Lundin : « Je ne me souviens pas. » Une réponse apparemment frustrante, mais qui n’empêche pas les procureurs qui tissent à tour de rôle patiemment leur toile, question après question, pour démontrer à quel point l’entreprise était liée à l’armée soudanaise.

Gestion de la sécurité du bloc 5A

Lundin est interrogé sur les processus de prise de décision et de reporting au sein de l’entreprise, y compris les rapports de sécurité de Khartoum. Nie toute implication directe dans les décisions opérationnelles liées à la sécurité. « Dans une zone reculée comme le Soudan, la communication est limitée et les décisions doivent être prises localement », assure-t-il.

« Qui a pris la décision finale concernant les protocoles de sécurité et les interventions militaires autour du bloc 5A ? » demande le procureur. « Les décisions militaires ne relevaient pas de notre responsabilité. C’est le gouvernement soudanais qui a décidé des mesures de sécurité liées à nos opérations », répond l’accusé. « Je pense qu’il est normal que nous dépendions du gouvernement [de Khartoum] pour la sécurité, et s’ils estimaient que l’armée devait assurer la sécurité, c’était leur décision, pas la nôtre », a-t-il déclaré peu de temps après.

– « Donc », poursuit le procureur, « il était apparemment accepté que l’armée assure la garde. Comment en est-on arrivé à cette solution ?

– Je ne pense pas qu’il y ait eu de négociation. C’est le résultat de la prise de conscience que la police locale n’était pas en mesure d’assurer la sécurité.

– Mais qui a pensé à cette solution ? insiste le procureur.

– Je ne sais pas, mais il serait normal que l’armée régulière fasse office de garde principale, puisque la police locale n’en serait pas capable.

– Et qui a le mandat pour tenir ce type de discussion ?

– Gestion locale.

– OMS?

– Je ne peux pas répondre exactement. »

Après la pause, le procureur poursuit :

– « Si j’ai bien compris, c’était la SSDF (South Soudan Defence Forces, une milice qui travaillait à l’époque pour le gouvernement de Khartoum) qui était responsable de la sécurité de la zone. Vous parlez de la police locale. Parlons-nous de la même chose ?

– Police locale et SSDF, je ne fais aucune différence. »

Bloc 5A délimitant l’exploitation pétrolière de Lundin au Soudan, sur une carte d’entreprise datant de mai 1998. La partie hachurée indique les activités rebelles qui interdisent le survol.

Pas d’implication locale ou opérationnelle ?

A travers des questions, Lundin explique que les décisions de sécurité étaient prises par l’équipe locale au Soudan et que son rôle se limitait à un niveau stratégique, loin des décisions opérationnelles. Ian Lundin donne l’impression d’avoir occupé un tel poste au sein de l’entreprise qu’il n’avait pas connaissance du détail des décisions prises sur le terrain. Ce qui va logiquement accroître la pression sur son coaccusé, le Suisse Alexandre Schneiter, qui occupait un rôle bien plus opérationnel sur le terrain. Certaines réponses de Lundin illustrent cependant la situation compliquée dans laquelle il se trouve.

Entre novembre 2023 et février 2024, tout en présentant les faits du point de vue de leur client, les avocats de Lundin ont répété à plusieurs reprises que les conflits dans le bloc 5A étaient essentiellement la conséquence de vols de bétail inter-claniques, parfois provoqués par des rebelles, qui n’avaient donc rien à voir avec le comportement de Lundin. activités d’exploration pétrolière.

Lors de l’interrogatoire, qui a débuté en décembre dernier, Lundin est resté évasif, n’a pas répété les arguments de ses avocats et a évité de montrer s’il avait une implication significative dans la gestion des affaires sur le terrain ou une connaissance trop fine de la situation locale.

Par exemple, la construction d’une route était indispensable pour accéder à la zone de prospection. Cependant, Lundin affirme que la décision de le construire a été prise par des équipes locales, sans sa participation directe. Lorsque le parquet affirme que cet itinéraire nécessitait des opérations militaires dans des zones sensibles, Lundin nie avoir été informé de ces aspects.

A chaque obstacle, trou de mémoire ou départ dû à l’éloignement du terrain, l’accusation tente de se relever.

– « Ne saviez-vous pas que la militarisation de la région avait pour but de faciliter vos opérations, au détriment des civils ?

– Je pensais que l’armée était une force neutre dans ces conflits entre factions et qu’elle aurait un effet stabilisateur.

– Comment la présence de l’armée pourrait-elle vous permettre d’être considéré comme neutre ?

– C’est la conclusion de la direction locale », répond Lundin.

Des radios fournies aux soldats soudanais

Lorsque le procureur Henrik Attorps a pris ses fonctions, il a montré un rapport confidentiel de l’entreprise, daté de juin 1999, qui traitait de la sécurité et de la nécessité d’améliorer les communications. Citant le point 9 du rapport, il parle de l’équipement des soldats de Lundin, notamment des radios pour 13 hommes qui doivent garder la base de Rubkona. Lundin prend le temps de lire le document affiché sur l’écran mural devant lui, au-dessus du procureur, et répond calmement après quelques instants. « Ce n’est pas ce qui est dit, il est dit que les gardes seront équipés. »

Le parquet passe à un autre point du document, avant d’arriver au point 32.

– « Il est également précisé que l’armée soudanaise recevra des systèmes de communication pour les convois, des radios HF et VHF. Voyez-vous un problème à fournir ce type d’équipement à une armée impliquée dans une guerre civile ?

– Encore une fois, c’était un poste de garde à des fins de protection, répond Lundin.

– Ne voyez-vous pas de problème dans le fait que si vous fournissez des radios à l’armée, vous aidez aussi l’armée en général ?, insiste le procureur, faisant allusion à ses opérations de guerre civile.

« Non, ce n’est pas comme ça que je vois les choses », répond Lundin.

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