Pour Radio France Internationale, d’Ahidjo à Biya, le football camerounais est au cœur des enjeux politiques. Dans un pays qui a remporté cinq championnats d’Afrique, le football est utilisé comme une arène politique où s’affrontent dirigeants et opposants au régime.
Plus récemment, les médias français ont attribué des intentions politiques à Samuel Eto’o, ancien capitaine des Lions Indomptables.
Lire l’article de RFI ci-dessous :
D’Ahidjo à Biya, le football camerounais au cœur des enjeux politiques
Au pays des quintuples champions d’Afrique (1984, 1988, 2000, 2002, 2017), le football se joue aussi dans l’arène politique, où s’activent aussi bien les tenants du pouvoir que les opposants au régime. Récemment, Samuel Eto’o, ancien capitaine des Lions indomptables, a été qualifié par certains de porteur d’intentions politiques.
Solennité. Gravité. Stabilité. Le 10 février 2024, dans son traditionnel « message » à la jeunesse, le président Paul Biya a rompu un peu avec l’habitude de célébrer les Lions indomptables au lendemain de leurs précédentes victoires. « Je sais l’importance que vous accordez au football. L’Etat, dans le contexte difficile que nous connaissons, consent de lourds sacrifices financiers à cet égard. Il est donc en droit d’exiger une meilleure organisation et de meilleurs résultats », a déclaré le chef de l’État camerounais, « déçu » par l’élimination de l’équipe nationale de football en huitièmes de finale de la Coupe d’Afrique des nations 2024 (CAN) en Côte d’Ivoire. Le président de la République a annoncé avoir instruit le gouvernement en ce sens.
Preuve que le football au Cameroun est une affaire politique pour les politiciens. Pour preuve, des investissements colossaux ont été réalisés par les pouvoirs publics pour doter le pays d’infrastructures modernes, comme on l’a vu avec l’organisation de la CAN 2019, devenue la CAN 2021, finalement jouée au début de l’année 2022.
L’enjeu est tel que » c’est le Président de la République qui s’est engagé personnellement à confier au Cameroun l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations 2019 « . De plus, les dépenses pour les Lions indomptables ne figurent pas dans le budget du ministère des Sports inscrit dans la loi de finances « , confie un haut fonctionnaire, laissant entendre que les plus hautes autorités ne plaisantent pas avec l’équipe nationale, même en période d’austérité.
Le Président de la République, « le sportif le plus important du Cameroun ».
Pourquoi toute la gloire reviendrait-elle au Président ? « Le football camerounais a atteint son apogée sous Paul Biya. Les Lions indomptables ont atteint les quarts de finale de la Coupe du monde, un exploit sans précédent pour une nation africaine. L’intervention spéciale de Paul Biya pour que Roger Milla, le héros reconnu de la Coupe du monde 1990, soit inclus dans le triomphe de l’Italie reste dans nos mémoires », rappelle le cabinet présidentiel triomphaliste dans une brochure publiée à l’occasion de la Coupe d’Afrique des Nations 2021.
Un petit détour par l’histoire. 1984. La Côte d’Ivoire remporte la première Coupe d’Afrique des Nations. Le président de la République exulte : » […] Il est donc légitime que la victoire d’Abidjan, qui exalte les vertus de notre peuple et honore notre pays, soit considérée comme la victoire du Renouveau National. [projet de société proposé par Paul Biya, dès son accession à la magistrature suprême le 6 novembre 192, NDLR] « .
Depuis lors, les exploits des Lions Indomptables sont attribués au Président de la République, « premier sportif du Cameroun » et « 12ème homme du football camerounais ». Selon une certaine tradition, le chef de l’Etat a toujours célébré solennellement les victoires de l’équipe nationale, érigée en exemple pour le peuple camerounais.
Parfois, un discours présidentiel évoque un contexte politique particulier. Ce fut le cas au lendemain de la victoire finale des Lions en 2017 : « Le message que vous avez envoyé est clair. Que vous soyez du Nord ou du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, vous êtes avant tout des Camerounais. (…) Des Camerounais qui aiment leur pays et sont prêts à tous les sacrifices pour porter ses couleurs. Votre belle performance est une nouvelle preuve que lorsque les Camerounais sont unis et solidaires, rien ne peut les arrêter », a déclaré Paul Biya.
Certains analystes ont établi un lien entre ce discours et la crise sécuritaire qui a éclaté fin 2016 dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où des groupes sécessionnistes armés s’opposent aux forces de défense régulières. En 1990, les Lions, quart de finalistes de la Coupe du monde, avaient eu le mérite d’apaiser momentanément les tensions sociopolitiques de l’époque, alors que des voix s’élevaient pour réclamer la restauration du multipartisme.
Le football est l’un des éléments de l’identité camerounaise ».
Le football a un arrière-plan et des arrière-pensées nettement politiques, et on lui reconnaît un certain pouvoir de mobilisation. Le football est aussi politique parce que les Camerounais aiment ce sport. C’est la seule chose qui unit les Camerounais. Aucun homme politique ne peut l’ignorer. Il fait partie de l’identité camerounaise. Le football est un facteur d’intégration et d’unité nationale », explique le politologue Emmanuel Wonyu, enseignant à l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric) à Yaoundé.
Et Paul Biya a raison : « Le football a été régulièrement exploité comme une ressource politique par les deux chefs d’Etat. Avec Ahmadou Ahidjo [premier président de la République de 1960 à 1982, NDLR]Sous Ahmadou Ahidjo, comme sous Biya, le football est devenu un espace d’expression politique, tantôt pour exploiter la ferveur populaire suscitée par les victoires en compétition comme preuve de leur contribution à la construction de la nation, tantôt pour s’attribuer les victoires afin de récupérer les joies générées par le sport », analyse le sociologue Claude Abe, de l’Université catholique d’Afrique centrale à Yaoundé. Ce type d’exploitation politique a contribué à faire du football un enjeu politique et un objet de propagande », ajoute l’universitaire.
Pourtant, les clivages entre les deux chefs d’Etat n’ont pas manqué. Par exemple : « Ahmadou Ahidjo, dès son accession à la fonction suprême de la République, a immédiatement manifesté un goût inconditionnel pour le soutien au football camerounais. C’est ainsi qu’il est devenu un fervent supporter du Canon de Yaoundé pour ses performances continentales, et plus tard de l’Union Sportive de Douala, un autre club de réputation continentale », raconte Abel Mbengue, un ancien chroniqueur sportif respecté qui a connu les régimes Ahidjo et Biya. Selon le journaliste, Ahmadou Ahidjo était heureux d’utiliser les ressources logistiques de l’État pour assurer le transport des équipes internationales et les primes de souveraineté.
Maurice Kamto, le « rigoriste ».
L’actualité récente a été marquée par l’entrée en lice d’acteurs qui n’occupent pas les plus hautes fonctions de l’État. Lors de la campagne pour les élections présidentielles d’octobre 2018, Maurice Kamto, candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), a remplacé son costume-cravate habituel par un blue-jean, des baskets, une casquette et une chemise portant le numéro 237, l’indicatif téléphonique du Cameroun. une casquette et une chemise portant le numéro 237, l’indicatif téléphonique du Cameroun.
Au cours de cette même séquence politique, l’opposant s’est présenté comme le « rigoriste » devenu avantageux. Le sous-entendu était qu’il était le vainqueur de cette compétition électorale, officiellement remportée par Paul Biya, qui était entre-temps entré dans l’histoire comme « l’homme-lion », depuis les élections présidentielles de 1992, à la fois comme symbole du « roi de la forêt » et comme référence à l’équipe nationale.
Trente-deux ans plus tard, alors que les élections présidentielles sont prévues pour 2025, Samuel Eto’o Fils, le populaire président de la Fécafoot, est soupçonné de vouloir succéder à Paul Biya. Le « 9 », comme l’appellent ses partisans, est vu avec des hommes politiques du régime, nie ses prétendues intentions politiques et affirme son « soutien indéfectible » au Président de la République. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le jeu reste ouvert.