L’un des derniers procès en cours devant la Cour pénale internationale (CPI) s’est achevé la semaine dernière par des audiences de détermination de la peine, même si le jugement n’a pas encore été rendu. Le procès d’Alfred Rhombot Yekatom et de Patrice-Edouard Ngaïssona pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité dure depuis 2021. Les deux hommes sont tenus responsables des attaques menées par la milice anti-balaka en République centrafricaine en 2013 et 2014.
Dans son discours d’ouverture des audiences, le procureur adjoint de la CPI, Mame Mandiaye Niang, explique que ce procès a exigé de la « créativité » et de la « persévérance ». Les audiences ont dû se poursuivre en ligne pendant le Covid. Les trois juges ont dépassé leur mandat initial, restant en fonction pendant les mois supplémentaires requis fin 2024 et début 2025 pour rendre une décision avant leur départ. Et pour la première fois à la CPI, ils leur a été adjoint un juge suppléant, afin d’éviter tout retard (comme cela s’est produit dans l’affaire Al Hassan).
L’audience de détermination de la peine s’est tenue – autre première à la CPI – avant que les juges ne se prononcent sur la culpabilité ou l’innocence des accusés. Elle a donc été marquée par une sorte d’olympiade linguistique, l’accusation et la défense étant obligées de formuler leurs arguments au futur conditionnel, avec des phrases alambiquées telles que « les juges auront décidé », pour discuter de ce qui pourrait constituer une peine équitable pour l’un ou l’autre des crimes présumés attribués à chacun des hommes. Les peines d’emprisonnement proposées vont du temps déjà passé en prison, pour la défense, à la peine maximale possible de 30 ans, pour le représentant des victimes.
Le mois dernier, le tribunal avait tenu des audiences simultanées pour les plaidoiries finales dans l’affaire Abd al Rahman concernant le Darfur et dans celle-ci, mais l’affaire centrafricaine avait été reléguée dans la deuxième salle d’audience, et les audiences n’avaient guère attiré l’attention du public. Un bon miroir de la difficulté qu’ont eue les observateurs à couvrir un procès dont les conclusions finales font des centaines de pages et dans lequel le mot [EXPURGÉ] apparaît au moins 2.000 fois dans les documents accessibles au public.
Un Ngaïssona avide de pouvoir
Ngaïssona doit répondre de 31 chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité et Yekatom de 21 charges, confirmés par la chambre préliminaire il y a près de cinq ans. Les crimes présumés ont été commis dans le cadre de la guerre civile en cours en République centrafricaine, au cours de laquelle des forces musulmanes connues sous le nom de Seleka ont envahi l’ouest du pays en 2013 et des milices locales connues sous le nom d’anti-balaka ont riposté.
Dans son réquisitoire, le procureur Kweku Vanderpuye décrit « une campagne généralisée qui a vu la séparation quasi-totale de la communauté musulmane et qui a pris pour cible de manière indiscriminée des civils musulmans, en guise de rétribution collective pour les crimes et les atrocités commis par la Seleka ». Il souligne que Ngaïssona « est accusé de complicité » et qu’il « a aidé et encouragé la commission des crimes et a contribué de toute autre manière à ce que les anti-balaka les commettent dans le cadre de leurs activités criminelles ». Ngaïssona « voulait le pouvoir, que ce soit indirectement », déclare-t-il, « ou directement en cherchant à obtenir ce poste [la présidence] lui-même, un poste dans le gouvernement de transition ou un poste d’administrateur lucratif ».
Plusieurs noms réapparaissent au cours des audiences, notamment celui du chef des anti-balaka et ancien président de la République centrafricaine, François Bozizé, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international de la Cour pénale spéciale, un tribunal parrainé par l’Onu à Bangui, et celui d’un autre haut dirigeant, Maxime Mokom, qui a été remis à La Haye, mais contre lequel toutes les charges ont été abandonnées en octobre 2023.
Ngaïssona « a choisi de participer à la rhétorique de Bozizé engendrant et instrumentalisant la division et la haine ethniques », déclare Vanderpuye, et « il a contribué à faciliter ses opérations [des anti-balaka] et leur capacités en fournissant de l’argent, y compris pour des munitions et des armes, en assurant la liaison et la coordination avec les principaux dirigeants, les com’zones (combattants de zone) et les coordonnateurs tels que Maxime Mokom ».
Yekatom, « animé par la vengeance »
Quant à Yekatom, le procureur soutient qu’il est responsable « des crimes commis par son groupe anti-balaka à Boeing », un quartier de Bangui, « et le long de l’axe PK9-Mbaiki, dans la préfecture de la Lobaye », et « du recrutement d’enfants de moins de 15 ans dans son groupe anti-balaka ».
Yekatom « a enrôlé et structuré des milliers d’éléments – 3.000 selon lui. Il les a déployés dans des opérations, y compris dans des zones où la population civile musulmane avait déjà été fragilisée après la fuite des Seleka face aux anti-balaka. Il les a entraînés. Il les a armés », déclare Vanderpuye. « Les éléments de Yekatom étaient animés par la vengeance et une violente animosité anti-musulmane. Au minimum, Yekatom savait, comme toute personne faisant preuve de bon sens, que le fait d’envoyer ces individus contre des civils musulmans entraînerait exactement la violence des représailles dont il est responsable. En effet, c’est en exécutant ses ordres que son groupe a commis de tels crimes. Et comme le montrent les preuves, lui et ses commandants ont même expressément ordonné le meurtre d’hommes et de femmes musulmans, de civils ».
« Il s’agit d’un homme qui a tiré sur trois de ses propres éléments, tuant deux d’entre eux. C’est un homme qui a admis […] que son groupe avait décapité un prisonnier qu’il détenait parce que c’était un traître. » Ces crimes, déclare le procureur, « étaient conformes à la politique d’organisation criminelle des anti-balaka » et « faisaient partie de l’attaque généralisée du groupe contre la population civile musulmane ».
« Rien de tout cela n’est justifiable »
Le parquet demande pas moins de 22 ans de prison pour Yekatom et pas moins de 20 ans pour Ngaïssona. « M. Yekatom a davantage participé à la commission des crimes dans le cadre de son groupe anti-balaka, en tant que plus haut responsable et commandant. En fin de compte, il a joué un rôle essentiel dans la commission par son groupe des crimes incriminés », dit Vanderpuye. « M. Yekatom savait exactement ce qu’il faisait » et « ses contributions à la commission des crimes incriminés à tous les stades, qu’il s’agisse de la conception, de la planification, de la préparation, de la tentative ou de l’exécution, étaient telles qu’il avait le contrôle sur la question de savoir si ces crimes seraient commis ou sur la manière dont ils le seraient ». En fait, « les crimes ont été exécutés avec une conformité quasi automatique à ses ordres ».
« M. Ngaïssona, lui, était un leader du mouvement anti-balaka au sens large, dont la conduite et la participation allaient bien au-delà d’un simple groupe d’éléments locaux. Son comportement s’inscrivait dans le cadre de l’ensemble des groupes anti-balaka opérant dans l’ouest de la République centrafricaine. En tant que tel, sa distance physique par rapport à la commission des crimes n’est pas une circonstance atténuante pour déterminer la peine. » Le procureur cite l’accusé lui-même : « Les anti-balaka n’ont pas deux entités. Les anti-balaka que je coordonne sont un seul et unique mouvement qui s’étend sur tout le territoire. Quand je donne un ordre à mes enfants, je pense qu’il est immédiatement mis en œuvre. »
« En un mot, les crimes graves exigent des sanctions graves », plaide Vanderpuye. « Ces crimes ont été infligés à des personnes vulnérables, à des communautés insulaires sans défense et à des civils innocents, y compris des enfants. Rien dans cette conduite ou dans la participation à cette conduite, quel qu’en soit le motif, n’est excusable. Rien de tout cela n’est justifiable ».
Dmytro Suprun, le représentant légal de quelque 292 anciens enfants soldats, demande que Yekatom, qui est seul accusé d’avoir enrôlé des mineurs, soit condamné à une peine d’au moins 20 ans d’emprisonnement. Quant aux représentants légaux des victimes, dans leur plaidoyer final au nom de 1673 victimes, ils soutiennent que Yekatom et Ngaïssona devraient tous deux être condamnés à 30 ans d’emprisonnement. Selon eux, il n’y a « aucune circonstance atténuante » et « rien dans la situation individuelle de M. Yekatom ou de M. Ngaïssona ne peut justifier une réduction de la peine ». L’une de leurs avocates, Marie-Edith Douzima-Lawson, a rappelé à la Cour que « les victimes de la République centrafricaine n’ont pas pu obtenir justice pour les crimes commis dans leur pays, et ce depuis des décennies. De telles circonstances ne font que perpétuer l’impunité et encourager ces cycles de violence ».
Un « dossier fondamentalement vicié »
Dans un mémoire final de plus de 200 pages, l’équipe de défense de Yekatom fait valoir que le dossier du procureur « était fondamentalement vicié dès le départ, en raison d’une mauvaise compréhension de la crise centrafricaine et de la réponse apportée aux atrocités commises par la Seleka ». La défense met l’accent sur les allégations de fabrication de preuves dans cette affaire, et déclarent qu’il n’y a aucune preuve « que M. Yekatom ait donné des ordres ou des instructions criminelles ». Il n’y a pas non plus de preuve que « les ordres donnés ont eu un effet direct sur la commission des crimes incriminés ». Elle présente Yekatom comme un homme de paix. « M. Yekatom n’a jamais nié l’existence de crimes commis dans le contexte de la crise centrafricaine ni le préjudice subi par les victimes et en particulier par la communauté musulmane en 2013 et 2014. En fait, c’est l’existence même de ces crimes qui a poussé M. Yekatom à travailler à la promotion de la paix et à la cohésion sociale, en travaillant aux côtés des chefs religieux et locaux pour atteindre cet objectif ». Dans un exercice d’équilibre entre négation de la culpabilité de leur client et nécessité de plaider pour une peine légère en cas de condamnation, elle demande « une peine juste, proportionnée et appropriée pour chaque crime individuel » et que les juges reconnaissent qu’il y a une forte redondance de la conduite sous-jacente à chaque chef d’inculpation. Après avoir contesté « l’utilisation par l’accusation du terme nébuleux ‘d’anti-balaka’ », elle fait valoir que les juges devraient « évaluer de manière critique la réalité d’une telle organisation en notant, entre autres, la taille, la composition et les objectifs différents des ‘anti-balaka’, ainsi que le cadre temporel dans lequel une telle coordination aurait pris effet ».
Bouc émissaire
L’équipe de défense de Ngaïssona suggère que celui-ci est essentiellement un bouc émissaire. « Ce serait une honte pour la justice internationale s’il était reconnu coupable simplement parce que quelqu’un doit porter la responsabilité. » Elle plaide pour que la « peine maximale potentielle de Ngaïssona soit le temps passé en détention ».
« Il n’a jamais été directement impliqué », déclare son avocat Geert-Jan Alexander Knoops, « dans la planification ou l’exécution » des crimes présumés. Il souligne que « l’accusation n’a présenté aucune preuve suggérant que M. Ngaïssona a directement participé aux crimes reprochés, les a supervisés, en a eu connaissance au moment des faits ou les a approuvés. Les allégations concernant les instructions, si elles étaient prouvées, n’ont aucun lien avec la commission de crimes contre la population civile musulmane. De plus, il n’y a pas de preuve montrant l’effet tangible que ces instructions ont eu sur les actions du groupe présumé de Yekatom et du groupe de Bossangoa, lors de l’attaque du 5 décembre et de ses suites. Par conséquent, la contribution potentielle de M. Ngaïssona à une politique criminelle organisationnelle ou à un objectif criminel commun n’était ni importante ni vitale ».
Knoops rappelle à la Cour l’abandon des charges contre Mokom et l’acquittement de Jean-Pierre Bemba dans un précédent procès centrafricain devant la CPI, pour suggérer que le bureau du procureur essaye de s’assurer que « quelqu’un doit payer pour ces crimes », tout en avertissant que « les exigences de la justice ne peuvent jamais être sacrifiées sur l’autel de la rétribution ».
Que Yekatom et Ngaïssona soient reconnus coupables ou non, il y aura probablement une procédure d’appel. D’ici là, les salles d’audience de la CPI ont peu de séances publiques prévues cette année, hormis l’audience préliminaire de Joseph Kony, en son absence, annoncée à l’automne et le début de la phase de défense dans un autre procès centrafricain contre un chef présumé de la Seleka, Mahamat Said, en mars.
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